La prison et les IPPJ sont des lieux de privation de liberté. Mais aussi les institutions psychiatriques, les centres fermés pour demandeurs d’asile, les orphelinats, les centres de réhabilitation, les centres curatifs… Tous ces endroits, hors de portée du regard du public… Dans quelles conditions les jeunes – et parfois les enfants – y sont-ils maintenus ? Sont-elles les mêmes partout en Europe ? Quelles sont les normes et les lois nationales et internationales en vigueur ? Sont-elles respectées ? Comment s’en assurer ?
Voici résumé le gigantesque travail d’enquête et d’analyse mené par l’ONG Défense des Enfants International (DEI). Benoît Van Keirsbilck est le directeur de son antenne belge. Il est l’initiateur d’une recherche menée dans quatorze pays. Ses conclusions ont abouti en 2016 à la publication d’un rapport très dense – Children’s Rights Behind Bars – et à la création d’un guide pratique destiné à tout professionnel chargé de surveiller, contrôler ou visiter les lieux où des enfants/des jeunes sont enfermés.
1. Une initiative belge
DEI-Belgique est une toute petite ONG : trois employés, quelques stagiaires et bénévoles. Elle s’est créée il y a plus de vingt ans, lorsque le pays a ratifié la Convention des droits de l’enfant. « La mise en œuvre de ce texte, c’est vraiment notre focus », précise Benoît Van Keirsbilck. Vaste réseau international, DEI est implantée dans une cinquantaine d’Etats. Elle a son secrétariat à Genève, son porte-voix aux Nations Unies notamment. Les questions prioritaires que ce mouvement traite sont liées à l’enfant et la justice : les mineurs auteurs de délits ou d’infractions, les jeunes qualifiés de délinquants et leur privation de liberté dans ce cadre, mais également tout type de situation où les enfants sont confrontés au monde de la justice en tant que victimes ou témoins, ou demandeurs de faire respecter leurs droits. « Nous essayons d’infléchir le système de justice pour qu’il tienne compte du fait qu’une partie de son public est mineure et a donc peut-être moins de compétences et de capacités à comprendre comment il fonctionne. Ces jeunes ont moins accès à l’information, moins de possibilités d’être défendus et d’être véritablement entendus, explique B. Van Keirsbilck. D’autre part nous agissons sur les lois, sur les dispositifs en place, sur les mécanismes d’assistance et d’accompagnement. »
La justice des adultes est la partie visible de l’iceberg. Tout dépend des pays et des époques bien entendu mais, en général, il existe des systèmes de contrôle relativement performants, des mécanismes de prévention, des structures de médiation tant au niveau national qu’européen ou international. On pense au Comité de Prévention de la Torture (CPT), qui effectue des visites dans les lieux de détention et remet des rapports. Toutefois, ces organismes n’ont pas nécessairement une approche propre à la situation des enfants. « Or, poursuit le directeur, nous sommes persuadés que leur détention nécessite un regard particulier, plus acéré, qui retienne des standards plus spécifiques. Il est important également que les évaluateurs aient une sensibilité et une capacité à entrer en interaction avec les enfants privés de liberté. »
Plusieurs très bons guides ont déjà été publiés en matière de détention, notamment par l’Association de prévention de la torture (APT) et par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). D’autres abordent la détention de migrants, etc. mais rien de précis n’existait à propos des enfants. « Nous nous sommes engagés dans cette brèche et nous avons soumis un projet à la Commission européenne », dit-il. Le projet est particulièrement ambitieux. A l’échelle de l’ONG locale tout d’abord : le financement reçu – 500 000 euros sur deux ans – a quadruplé son budget annuel. En termes de collaborations également : l’ONG s’est adjoint les compétences d’une dizaine d’experts de renommée mondiale. Reste qu’un projet européen n’est jamais financé qu’à 80%… Malgré une contribution substantielle du Conseil de l’Europe, ce budget n’était pas encore atteint. C’est ici qu’est intervenu le Fonds Houtman.
2. Un travail en plusieurs temps
La première étape a été de répertorier les instances de monitoring et les mécanismes de plainte qui existaient dans les quatorze pays partenaires. En clair : qui surveille la manière dont la détention des enfants est mise en place et comment sont respectés leurs droits fondamentaux. Le tout en détail. Quand ça se passe mal pour un enfant par exemple, quelles sont ses possibilités de tirer la sonnette d’alarme sachant qu’il est soumis à un rapport de force favorable au système ? Pour transmettre une plainte à une instance, il dépend nécessairement de la personne à l’origine de ses difficultés… avec le risque de représailles que cela représente. « C’est un contexte un peu compliqué, rappelle B. Van Keirsbilck. Nous voulions voir comment cela fonctionnait, comparer d’un pays à l’autre. Certains sont fédéraux, d’autres plus centralisateurs… Nous avons dégagé une vue d’ensemble d’à peu près tous les mécanismes existants. Ceux qui semblent donner de bons résultats, les modèles exportables, les bonnes pratiques locales, tous les éléments intéressants ont été mis en exergue. » Pour chaque pays partenaire, un rapport a été rédigé. La version belge est le fruit d’un travail approfondi région par région.
3. Un guide pratique très pratique
La rédaction d’un guide pratique a suivi. Monitoring des lieux où les enfants sont privés de libertés est transversal à l’Europe (et au-delà). C’est un catalogue très complet des normes spécifiques à la détention d’enfants (qui parfois sont les mêmes que celles qui s’appliquent aux adultes). Il reprend tous les traités européens, les lignes directrices, les recommandations, les conventions internationales, les pactes, etc. « Nous sommes entrés dans le détail de chaque règle, précise B. Van Keirsbilck. Celles qui régissent le droit à avoir des contacts avec l’extérieur par exemple. Comment est-ce qu’un organisme de monitoring va contrôler ces visites ? Qui interroger ? Quoi observer ? Y a-t-il un lieu où ces rencontres peuvent se faire ? Dans quelles conditions ? A quel rythme ? » Cette partie du guide donne les indications les plus concrètes et les plus pratiques qui soient. Autre exemple : les punitions. Y a-t-il un règlement qui les prévoit ? Quelles sont-elles ? Pour quels motifs ? Et la mise en isolement, y recourt-on ? Dans quel contexte ? « Allez voir les lieux ! exhorte le directeur de DEI. Rendez-vous compte s’ils sont salubres, aérés. Offre-t-on des occupations aux jeunes ? Combien de temps est-ce que cela dure ? On invite les gens qui font ce contrôle à ne pas louper un élément. Y compris à aller consulter le dossier au greffe. A propos, est-ce qu’il y a un dossier ? Une décision légale de privation de liberté ? Il arrive que l’on soit dans l’arbitraire… » La partie la plus pointue du guide donc, et celle qui rencontre pleinement l’objectif de départ : pour améliorer la situation, il faut fournir des clés de lecture, une approche et une capacité d’observation.
Cette grille est fondée sur les normes applicables à l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe. Elle s’adapte également aux niveaux national et régional. Des encarts sont prévus à cet effet.