Cahier 35 – Enfants, jeunes et résilience 1/2
Pour aller plus loin...
Enfants, jeunes et résilience :
La résilience, comme la définissait le Dr Michel Manciaux, auteur de nombreux ouvrages sur l’enfance en difficulté, c’est « la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères ». En Belgique et en Europe, l’UNICEF[1] estimait que, en 2019, 16,3 % des adolescents âgés de dix à dix-neuf ans étaient atteints d’un trouble mental (diagnostiqué aux termes de la définition de l’OMS[2]), dont l’anxiété et la dépression pour plus de la moitié des cas. Comment favoriser les facteurs de protection et de prévention ? Sur le terrain, la pandémie de Covid-19 a fait surgir chez les enfants et les jeunes de nombreuses inquiétudes, mais elle a également suscité des initiatives originales, solidaires et bénéfiques pour eux. Le développement d’environnements collectifs bientraitants et d’une culture favorisant la résilience a particulièrement retenu l’attention du Fonds Houtman, qui a choisi de soutenir huit initiatives. Ce numéro des Cahiers du Fonds Houtman en présente les quatre premières.
- Voix d’adolescents, une chorale « extraordinaire » de jeunes en situation de handicap, par l’ASBL Chorales Equinox ;
- Des jeunes ayant connu la rupture/le décrochage scolaire nous accompagnent, en cocréation, à accompagner des jeunes vulnérables, défavorisés, à se réaccrocher, trouver une perspective et redevenir acteurs de leur vie à la suite de la pandémie, par l’ASBL Odyssée ;
- Les brise-lames, par la Compagnie Le Zet ;
- Le laboratoire des liens, par Le Forum – Bruxelles contre les inégalités.
[1] UNICEF, La Situation des enfants dans le monde 2021. Dans ma tête : Promouvoir, protéger et prendre en charge la santé mentale des enfants, janvier 2022.
[2] « Un trouble mental se caractérise par une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement d’un individu. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse ou de déficiences fonctionnelles dans des domaines importants », www.who.int.
Edito
Par Arnaud Destrebecqz, Représentant ULB du Comité de Gestion du Fonds et Président du Comité d’Accompagnement des projets.
Comme de nombreux concepts en sciences sociales, la résilience est une notion notoirement difficile à définir. Dans un ouvrage récent[1], le psychologue Christophe Leys et le psychiatre Pierre Fossion décrivent la résilience comme la capacité d’une personne à faire face aux adversités, à s’adapter aux situations difficiles, et à rebondir. La résilience constitue selon eux une disposition dynamique, présente en chacun de nous, qui se nourrit de multiples facteurs tels que le soutien social, la capacité à résoudre les difficultés, l’optimisme et la flexibilité mentale. La résilience mobilise ainsi les compétences individuelles de celles et ceux qui font face à des épreuves, tout en considérant le contexte familial, social, amical et social.
Les travaux d’Emmy Werner sont généralement considérés comme le point de départ de l’étude scientifique de la résilience. Cette psychologue américaine est connue mondialement pour son étude longitudinale menée sur une cohorte de 698 enfants nés sur l’île hawaïenne de Kauaï — soit l’ensemble de la cohorte de naissance de l’île pour l’année 1955. De nombreux enfants de son échantillon étaient exposés à des facteurs de risque importants (une naissance prématurée associée à un foyer instable et à une mère souffrant de troubles mentaux). Parmi ceux-ci, la majorité (environ 70 % d’entre eux) a rencontré, 30 ans plus tard, davantage de problèmes de délinquance, de santé mentale et physique et de stabilité familiale que les enfants exposés à moins de facteurs de risque de ce genre. Toutefois, parmi ces enfants défavorisés, 30 % s’étaient suffisamment bien débrouillés dans la vie pour apprendre un métier et fonder une famille. Le développement de cette résilience était favorisé par deux éléments : la création d’une relation forte avec un adulte de référence en dehors d’une famille dysfonctionnelle et la participation régulière à un groupe d’appartenance.
Dans notre histoire récente, l’épidémie de covid-19 a été une épreuve inédite pour les jeunes, bouleversant leur quotidien, leurs études, leurs relations sociales. La question de la santé mentale des jeunes est devenue aujourd’hui une préoccupation majeure, mais généralement abordée sous l’angle du trauma. Au sortir de la crise, le Fonds Houtman a jugé pertinent de mettre en évidence le travail des équipes qui, à la suite des travaux de Werner, proposent aux jeunes des modèles d’identification et des groupes d’appartenance qui soutiennent le déploiement de leurs capacités de résilience.
Dans sa préface à l’ouvrage mentionné précédemment, Boris Cyrulnik décrit la résilience comme un antidestin : si les épreuves sont bien réelles, la reconstruction est également possible. Le travail des équipes et le parcours des jeunes décrits dans ces Cahiers du Fonds Houtman nous en proposent des exemples précieux.
[1] Leys, C., & Fossion, P. (2023). Science de la résilience : Petit traité pour les psys et pour les autres. Odile Jacob.
1. Chorales Equinox - Voix d’adolescents, une chorale « extraordinaire » de jeunes en situation de handicap
Créée en 2012 sous l’impulsion de la pianiste Maria João Pires et de la Chapelle Musicale Reine Élisabeth, l’asbl Chorales Equinox se consacre à la création et au développement de chorales à destination d’un public fragilisé (enfants issus de milieux défavorisés, jeunes en situation de handicap, enfants vivant dans un pays ébranlé par des conflits politiques…). En Wallonie et à Bruxelles (dans des institutions pour enfants placés par le juge, dans des quartiers populaires) et au Burundi (avec SOS Villages d’Enfants), elles promeuvent l’égalité des chances et luttent contre l’exclusion en offrant une formation musicale d’excellence et en développant différentes compétences par le biais de la musique : écoute, patience, concentration, sens critique… Son travail s’inscrit dans la durée, c’est un travail de fond qui tend à « enraciner » la pratique musicale dans des milieux socio-économiques fragiles.
En 2021, Equinox a mis en place une chorale au cœur du service résidentiel pour jeunes (SRJ) Clair Val à Suarlée, près de Namur. Clair Val accueille des enfants de trois à douze ans et des jeunes filles de douze à vingt et un ans : des jeunes en difficultés d’apprentissage, de comportement, présentant des troubles relationnels, affectifs, intellectuels, instrumentaux, scolaires ou des retards de développement. Très souvent, ces enfants présentent des carences psychosociales, ils ont parfois été maltraités, souvent négligés. Très souvent aussi, leur actualité familiale est encore chaotique, complexe et parfois délétère. Quatre-vingts pour cent d’entre eux sont accompagnés par les services d’aide ou de protection de la jeunesse.
1.1 Le projet
Lors de la première année du projet (avant le soutien du Fonds), une quinzaine de jeunes filles ont créé, répété et présenté un spectacle. « Une sorte de “bande” d’écorchées vives et un fameux défi », résume Géraldine Sax, la directrice des Chorales Equinox. Mais surtout un processus et un résultat au bénéfice de l’individu et du groupe à la fois. « Le chant choral met au travail des facettes aussi multiples et exigeantes que la pose de la voix, l’écoute de l’autre, la structuration rythmique, la justesse, la quête du beau et l’ouverture à une autre culture musicale, la discipline, l’effort, la confiance, le respect du cadre, le risque de se confronter au regard de l’autre… explique Mélanie Pelé, directrice artistique et pédagogique, musicienne. Parfois on avance, parfois on régresse, on rejoue les enjeux de son histoire et on est invité à les dépasser. C’est un vrai travail, mais les adultes sont là pour offrir leur soutien et leur confiance. »
1.2 Deux objectifs
L’objectif de ce projet est donc de permettre aux jeunes de construire tout au long de l’année un spectacle, de le monter avec l’accompagnement d’Equinox et de l’équipe encadrante du SJR, et de le présenter aux autres résidents et aux familles. Il s’agissait aussi (ensuite, lors de la 2e année) de réaliser un film documentaire sur la genèse du spectacle, les étapes du travail, les impressions des jeunes et le résultat final. De le présenter dans l’institution bien entendu, mais également dans d’autres institutions qui souhaiteraient se lancer dans un projet similaire.
1.3 Public cible et méthodologie
Le chef de chœur Ricardo Müller a assuré la direction artistique durant deux années scolaires. Le premier spectacle, en juin 2022, était centré autour du thème du carton : un objet familier, un objet du quotidien au drôle de parcours. Conçu pour entourer et protéger les objets neufs, il protège aussi dans toutes les métropoles les personnes qui vivent dans la rue. Cette thématique touchait particulièrement les jeunes choristes et certains parcours de vie…
L’atelier choral est aussi un lieu de parole et d’écriture de soi. Les textes spontanés des jeunes filles et ceux que Ricardo Müller les a invitées à écrire, à travailler, ont été intégrés aux chants, au récit du spectacle. Le chef de chœur les a mis en musique, une musique originale créée et arrangée pour chaque morceau. Sur scène, les choristes étaient accompagnées de musiciens professionnalisant le travail de ces jeunes.
Le succès fut tel que, l’année suivante, le groupe s’est ouvert à la section des huit-douze ans, à leur demande. De quinze, le nombre de choristes est passé à plus de quarante, filles et garçons mélangés ! Pour cette édition-là, le choix de la thématique s’est porté sur les « fragments de vie ». Une « écriture de soi » encadrée également par l’équipe du SRJ, éducateurs et psychothérapeutes. « Le travail mené avec les jeunes est total, précise Géraldine Sax. Il ne s’agit pas que de chanter, mais aussi d’écrire, de se déplacer sur scène. Cela induit une prise en compte du corps et soulève des réticences de ces jeunes en pleine adolescence et qui ont pu subir des abus. Cette mise au centre du travail de la voix et du corps se fait en permanence sous la supervision de la thérapeute psychomotricienne du SRJ qui assiste et participe à toutes les répétitions. Elle connaît très bien les jeunes, leurs limites, mais aussi leurs capacités. » Trouver sa voix, c’est entrer dans un rapport fort avec ses émotions. « À travers le chant, ajoute Mélanie Pelé, beaucoup de choses en effet sont travaillées : le corps et la coordination, la respiration, l’élocution et l’articulation, la mémorisation, l’attention, le partage, la communication, la créativité et comment l’exprimer. »
Les jeunes ont retrouvé Ricardo Müller chaque semaine de septembre 2022 à juin 2023 (année du soutien du Fonds), à l’exception des vacances scolaires ; trois groupes se succédant au cours des deux heures passées chaque lundi soir dans le réfectoire de l’institution, transformé pour l’occasion en salle de répétition. « Il a réussi à se mettre à leur hauteur, observe Mélanie Pelé. Il leur a beaucoup apporté et il a reçu beaucoup. » Accompagner ces jeunes au parcours difficile n’est pas donné à tout chef de chœur. « Nous cherchons avant tout des musiciens, des artistes, souligne la directrice. Nous ne faisons pas de la musicothérapie, même si un effet en découle. » À chaque chef de chœur ou à chaque édition, le projet se colore différemment, mais le professionnalisme et la qualité de l’accompagnement des jeunes restent de mise. Ricardo Müller : « Même si leur développement musical au niveau technique du chant ou du rythme n’est pas gigantesque, au niveau relationnel, émotionnel, je pense vraiment qu’ils évoluent à travers la musique. Sur une scène, tu as une manière différente de voir le monde, de voir les choses, de voir les gens et de voir aussi ton travail. Si l’enfant a bien compris, et c’est ça le but : c’est de lui apprendre que ce n’est pas impossible, même si c’est difficile, même s’il faut bien travailler pour y arriver, c’est possible de faire un chouette spectacle, c’est bien de montrer les choses qu’on a travaillées. »
À travers le chant choral, les jeunes développent en effet un sentiment d’appartenance à un groupe solidaire et protecteur. « Pour beaucoup, c’est très précieux, dit Géraldine Sax. Ils sont souvent déracinés ou n’ont pas ce foyer chez eux, foyer qu’ils retrouvent à travers les chorales Equinox. Cette notion est illustrée dans le spectacle de fin d’année : s’il n’y avait pas ce groupe, il n’y aurait probablement pas de spectacle, et donc chaque être qui constitue le groupe est important et fait que la magie opère. »
Sandra Palgen, psychomotricienne thérapeute au SRJ Clair Val, éclaire le profil de ces jeunes et constate les effets que la chorale produit. « Pas mal de jeunes qui arrivent ici souffrent de gros troubles de l’attachement, dit-elle. C’est un trouble qui est très fréquent dans la population que nous accueillons, que l’on peut retrouver dans une série de comportements, de mises en danger, de ruptures du lien, de réactions parfois un peu exacerbées ou agressives à l’égard de l’autre ou à l’égard de soi-même. Toutes ces difficultés affectives et comportementales ont parfois eu pour conséquence aussi des difficultés d’apprentissage, des difficultés cognitives qui amènent ces jeunes à être accueillis dans un enseignement de type 1, relevant de l’enseignement spécialisé. » Elle raconte aussi avoir assisté à des petits miracles en cours de projet. « On part de très grosses difficultés pour la plupart des jeunes, c’est donc quelque chose qui doit s’inscrire dans la durée. Certains jeunes en très grosse difficulté, qui ne pouvaient tout simplement pas participer à une répétition de façon correcte au départ, se sont retrouvés vers la fin de l’année à suivre Ricardo, à chanter avec lui, à écouter. »
C’est elle qui a contacté Equinox. « Elle avait entendu parler de nous et disposait d’un petit budget pour tester le projet. On s’est lancé ! » Mais pour que cela fonctionne, il faut aussi que tous les éducateurs et la direction y croient. « On a eu quelques réunions un peu tendues, se souvient Mélanie Pelé. Il y avait des résistances : les jeunes n’allaient jamais tenir toute une répétition… Mais je pense qu’au fil des ans nous avons réussi à conquérir l’équipe et pas que les enfants. Ça a été un double apprentissage : de notre côté nous devons présenter le projet à tout le monde, et du côté de l’institution il faut un éducateur référent. » Les éducateurs sont en effet très importants, car ils sont sur le terrain, c’est eux notamment qui rappellent aux jeunes que l’atelier va commencer. Aujourd’hui, ils sont fiers du projet, qui est aussi un peu le leur. « Je crois que ça a changé leur regard sur les enfants, sur le possible de ces enfants. Ils mesurent à quel point l’art (dans lequel ils n’étaient pas non plus forcément plongés) et la musique – et en particulier le chant, c’est gratuit, démocratique, et que ça fait un bien fou aux enfants, constate Géraldine Sax. C’est devenu un projet de l’institution. Sans lui, ces enfants n’auraient probablement pas accès à la musique. »
1.4 Le film documentaire
Marc Temmerman a filmé très régulièrement les répétitions et le spectacle final, pour le projet soutenu par le Fonds en 2022-2023. Il a saisi des moments de grâce et réussi à susciter les commentaires des jeunes sur cette expérience et ses effets. Le film a été projeté dans une salle pleine à craquer de jeunes du SRJ, en présence aussi des éducateurs et de la direction. « Nous avons entendu beaucoup de rires et de joie, racontent Géraldine Sax et Mélanie Pelé, et nous serions heureuses de montrer au grand public l’intérêt et l’importance d’initiatives comme celle-ci. » Cependant la question du droit à l’oubli de ces jeunes a amené Equinox à renoncer à une diffusion à grande échelle. Le film peut toutefois être visionné lors de colloques, par exemple.
1.5 L’avis des choristes
Leurs commentaires, leurs chants et leurs textes ponctuent le film de Marc Temmerman. Florilège.
« On teste un petit peu le chant. Qu’est-ce que c’est que ça ? Ça ressemble à quoi ? Pourquoi on fait ça ? Après on a un contrat qui nous dit d’être à l’heure, de respecter, d’être motivé au cours parce que si on arrive en mode “je n’ai pas envie”, clairement, ça sert à rien d’être à la chorale. (…) On apprend un peu à se connaître à travers le chant (…), on crée des textes ou on crée des chansons, on apprend des chansons aussi et après il y a un spectacle qui se crée tout doucement, on répète, on se croit sur la scène et le jour J on y est. (…) Si ça devait s’arrêter demain, moi je ne serais pas d’accord, mais après voilà je suis qu’une jeune de treize ans, donc je n’ai pas vraiment mon mot à dire, mais après je pense que je dirais que perso moi ça m’aidait, j’étais bien dans la chorale, j’étais bien incluse. Franchement moi, la chorale, c’est un truc que je veux suivre. L’année prochaine je serais prête à recommencer. »
Estelle
« Car si tu as des moments difficiles
la vie ne changera pas
c’est toi qui as le pouvoir de te construire
c’est toi qui dois changer »
« Le but, c’est de s’amuser. Ce n’est pas comme à l’école, tu n’es pas obligé de te concentrer – oui quand même se concentrer, mais ce n’est pas comme si on allait te dire “Concentre-toi, tu ne peux pas bouger, tu ne peux pas parler“ ou quelque chose comme ça. »
Valentin
« C’est pas parce que je suis trop gentil
qu’on peut profiter de moi.
C’est pas parce que je suis trop gentil
qu’on peut me mentir.
C’est pas parce que je suis un enfant
que je ne comprends pas »
« Au début quand je suis venue, je n’avais pas du tout chanté parce que j’avais super la gêne. Après ça a commencé à aller et maintenant je chante. »
Semra
« La fille qui chante en face de toi, avant vous vous êtes peut-être disputées, vous entrez dans la chorale, vous ressortez, vous êtes de nouveau les meilleures amies du monde quoi. Je trouve vraiment la chorale c’est quelque chose qui nous aide à nous exprimer autrement que par la violence, la colère, les crises et tout. » (M’Mah)
« Je suis fatigué fatigué,
mais je vais me réveiller,
pas forcer c’est tout doux
je suis fatigué fatigué »
« C’est un sentiment qui fait que du coup ça m’aide à vider tout ce qui ne va pas, mes tracas et ainsi de suite, ça m’aide à vider tout de ma tête. »
Angelina
« Moi, j’ai fait mon texte et franchement ça me fait plaisir parce que je c’est comme si je créais une chanson moi-même. Donc c’est waouh ! C’est comme si j’étais une chanteuse et que je devais créer un nouvel album par exemple ! »
Cécile
« Je ne suis pas toute seule
je suis avec le soleil et l’arc-en-ciel
ils me protègent
je les aime comme ils m’aiment
je pourrai les aimer toute ma vie »
« Il y a un ou deux textes que j’ai écrits et qui parlent évidemment d’un bout de ma vie et de la vie des autres que je connais. Du coup, ben c’est pour ça que j’ai voulu me mettre à fond pour ce projet-là. »
Anne-Sophie
« Depuis que mon cœur a commencé à battre
je ne sais plus où je pourrais aller,
car j’ai déjà tout vu avec mon cœur et mes yeux
juste avant de m’envoler. »
1.6 Contact
ASBL Chorales Equinox
Géraldine Sax, directrice
Mélanie Pelé, directrice artistique et pédagogique
Chaussée de Tervuren 445 à 1410 Waterloo – Tél : 0479 598 299
gsax@musicchapel.org ; mpele@musicchapel.org
www.chorales-equinox.be
2. Odyssée - « Par les jeunes, pour les jeunes » : accompagner des ados en rupture scolaire
Des jeunes ayant connu la rupture, le décrochage scolaire, accompagnent – en cocréation – l’équipe de l’asbl Odyssée à accompagner des jeunes vulnérables et défavorisés à se réaccrocher, à trouver une perspective et à redevenir acteurs de leur vie à la suite de la pandémie de Covid-19.
Depuis vingt-quatre ans, Odyssée lutte contre la rupture, le décrochage scolaire, et accompagne des jeunes à se remettre en projet. « Nous les accompagnons à se découvrir, à s’orienter, pour devenir acteurs de leur avenir et de leur vie peu importe leur origine, leur statut social, leur situation familiale, leur handicap, etc., explique Catherine Sztencel, directrice de l’asbl. Nous les accompagnons à désirer créer un monde de demain éthique, responsable et entreprenant dans lequel ils seront des citoyens engagés et impliqués. »
2.1 Le projet
Les jeunes issus de milieux socioéconomiques défavorisés sont souvent exclus et discriminés, relégués dans des sections scolaires ou dirigés vers des métiers moins valorisés. Ils sont en risque plus grand de décrochage et de rupture. Le projet intervient en faveur de jeunes de douze à vingt-quatre ans inscrits dans des écoles à indice socioéconomique très bas. Des jeunes qui peuvent être issus de minorités raciales et ethniques, qui peuvent être réfugiés ou demandeurs d’asile, des jeunes également issus de familles en détresse et en stress, en grande difficulté émotionnelle. « Ils se comptent par centaines dans nos écoles, constate Catherine Sztencel. Leur absentéisme et leur désintérêt pour leurs études sont souvent le symptôme d’une difficulté psychosociale profonde. »
Ces adolescents en rupture de l’école se placent de plus en plus en marge de la société et risquent de glisser sur la pente de l’exclusion scolaire et sociale. Les études montrent qu’ils sont plus susceptibles de vivre de l’aide sociale ou d’un emploi précaire, d’avoir des ennuis de santé, sans parler des assuétudes et autres difficultés. « Les jeunes qui vivent des réalités difficiles pensent petit à petit que leur parcours est déterminé, qu’ils n’ont pas de choix et pas de capacités pour agir, analyse Catherine Sztencel. Même s’ils savent que l’école pourrait être une ouverture pour leur avenir, ils n’y arrivent pas. Très souvent, ils n’ont pas d’espace chez eux où étudier et l’école ne joue pas son rôle d’ascenseur social. Elle apparaît comme un parcours d’obstacles : il y a les mauvaises notes, les échecs, les redoublements, les relégations vers des sections non choisies… Les étiquettes dont on les affuble sont terriblement violentes. »
Fracture sociale, pandémie, conflits… Des jeunes ont perdu leurs références, ont une santé mentale parfois altérée et ne savent plus vers où se tourner. Qui mieux pour les aider que d’autres jeunes ayant souvent vécu des situations similaires et qui ont réussi à trouver un chemin ? (Même si celui-ci n’a pas été sans embûches…) Odyssée a choisi de former des jeunes ayant eux-mêmes connu la rupture et le décrochage à accompagner son équipe à accompagner d’autres jeunes à se remettre en projet. « L’intention est de mettre en réussite et en mouvement des jeunes pour accompagner d’autres jeunes et ainsi aussi garantir leur motivation et pérenniser le chemin parcouru. Leur donner un rôle dans lequel ils se sentent utiles, valorisés et mettent en pratique la confiance en eux accumulée, précise Catherine Sztencel. En formant ces jeunes à nous accompagner à accompagner d’autres jeunes, nous les conscientisons à ces difficultés et nous espérons que de plus en plus de jeunes joueront un rôle modèle auprès d’autres jeunes fragilisés, un peu comme des grands frères et des grandes sœurs qui ont eux-mêmes expérimenté une méthodologie qui a fonctionné pour eux et qu’ils auront à cœur de partager. » Des alliés pour Odyssée, mais surtout les alliés des jeunes qui pourront les entendre et croire à un avenir possible, plus juste, plus éthique, plus égalitaire.
2.2 Les bénéficiaires
Le projet concerne les jeunes et leurs familles, de même que les écoles secondaires partenaires (professeurs, éducateurs, etc.). Odyssée implique aussi des médecins, psychiatres, psychologues, toute personne qui entoure le jeune, lui permettant de se sentir soutenu, écouté, entendu et non plus perdu dans une masse qui ne lui offre aucune perspective. « Nous faisons le lien entre la précarité, la rupture/le décrochage scolaire, la santé mentale et la citoyenneté mondiale. Schématiquement, décrochage scolaire = décrochage citoyen ; et accrochage citoyen = accrochage scolaire », résume Catherine Sztencel.
L’indice socioéconomique (ISE) d’un établissement scolaire est coté sur 20. Le projet d’Odyssée touche treize écoles ISE 1, trois écoles ISE 2, une école ISE 3, une école ISE 5, une école ISE 6, une école ISE 7, une école ISE 9 et une école ISE 11.
2.3 Méthodologie
Le projet mise sur la rencontre des accompagnants (âgés de seize à vingt-six ans) et des accompagnés (âgés de douze à vingt-quatre ans). Odyssée s’est rendu dans les classes pour présenter le projet aux jeunes et leur proposer d’y participer. Un certain nombre d’entre eux ont adhéré à l’idée et ont participé à sa mise en place, en qualité de partenaires, un élément qui a joué dans le succès de cette initiative. Ce sont principalement des élèves de sixième et de cinquième secondaire en technique de qualification option sciences sociales d’écoles à indice socioéconomique bas qui ont accompagné à accompagner des jeunes de deuxième, troisième et quatrième secondaire de sections « de relégation », en plus grand risque de décrochage. « Nous avons partagé avec eux notre expérience, ils nous ont partagé leurs vécus, leurs ressentis. Nous avons passé du temps ensemble à préparer les accompagnements et leur avons appris notre méthodologie d’accompagnement, l’écoute active, la Communication NonViolente, la bienveillance, l’empathie et les différents outils que nous utilisons. » Odyssée a fait de même avec de jeunes étudiants de hautes écoles et d’universités. Durant cette année scolaire et demie, onze étudiants universitaires ont participé au projet, six étudiants de hautes écoles, huit élèves d’écoles secondaires et un jeune de dix-sept ans en décrochage complet. Chacune de ces personnes a connu un parcours particulier durant sa scolarité ou dans sa vie familiale, ce qui lui a permis à d’être plus apte à écouter et entendre les histoires de vie et scolaires des jeunes accompagnés dans le sillage d’Odyssée.
Différents ateliers leur ont permis d’aller à la rencontre d’eux-mêmes et d’aller à la rencontre de la citoyenneté.
Des ateliers de groupes. L’approche ludique et la méthodologie participative les ont invités à sortir de leur référentiel. Cette rupture avec le « connu » leur a permis de poser un autre regard sur qui ils sont et sur leurs relations aux autres. Ils ont appris à développer le savoir-être et le savoir-faire et ils ont pris conscience de leurs ressources, de leurs qualités, de leurs compétences. Ils se sont dépassés non parce que quelqu’un les a poussés, mais parce que l’activité les porte et qu’ils suivent le modèle d’autres jeunes. Spontanément, ils dépassent leurs peurs, leurs pensées limitantes et autres a priori qu’ils ont à leur sujet. « Ce changement de regard est générateur d’un changement de comportement. Il ouvre les jeunes à la possibilité d’être et d’agir autrement. Leur confiance en eux augmente, la dynamique de groupe est positive. Le focus est mis sur la reconnaissance et la valorisation des ressources des jeunes et sur leur capacité à toujours progresser », constate Catherine Sztencel. Les professeurs et éducateurs sont invités à y participer. Odyssée a également fait vivre ces activités à des assistants en médecine afin qu’ils puissent eux aussi développer des actions adéquates face à des jeunes en rupture, en décrochage, qui les consultent.
L’arbre de vie. Odyssée utilise fréquemment la métaphore de l’arbre de vie, qui permet aux jeunes d’aller à la rencontre d’eux-mêmes et des autres. « L’arbre va représenter symboliquement notre chemin de vie, nos décisions et leurs conséquences, explique Catherine Sztencel. Il met en lumière nos qualités, nos atouts, nos croyances. Bref, tous les événements qui jalonnent notre parcours. Au travers de cette métaphore, nous allons faire émerger les compétences et les ressources de chacun. On visite les racines, le sol, le tronc, les branches, les feuilles et les fruits qui symbolisent le passé, le présent et le futur. Cet arbre crée du lien et remobilise le sens de notre parcours de vie. Les arbres de chaque jeune placés côte à côte forment la forêt et sa richesse. »
La citoyenneté mondiale. Pour en apprendre plus sur le monde qui nous entoure, comprendre les enjeux politiques et climatiques qui se jouent, trouver sa place en tant que citoyen et construire ensemble le monde de demain, Odyssée propose des ateliers d’initiation à la citoyenneté mondiale et au développement durable et fait le lien entre l’accrochage scolaire et l’accrochage citoyen. « Nous avons réalisé que le décrochage scolaire était l’une des prémisses du décrochage citoyen. Lorsque le sentiment d’exclusion commence déjà à l’école, le jeune a les plus grandes difficultés à devenir un citoyen engagé et volontaire. Le sentiment des jeunes en décrochage, en particulier ceux issus de milieux précaires, est de “ne pas faire partie” du milieu scolaire et persiste vis-à-vis de la société lorsque le jeune devient adulte et quitte l’école. » Odyssée les accompagne à réfléchir à ces problématiques, à prendre du recul (et de l’élan), et leur donne envie de participer à la construction du monde de demain.
2.4 Évaluation
En une année scolaire et demie, ce projet a touché 2.698 jeunes lors de 449 ateliers dans 22 établissements scolaires. L’évaluation est basée sur des critères quantitatifs (nombre de jeunes suivis, de rencontres, les sections, l’indice socioéconomique des écoles, le nombre de garçons et de filles, etc.), mais aussi qualitatifs (retours positifs des professionnels de la santé, des écoles, des familles, des jeunes). « Notre intention est que les jeunes que nous rencontrons acquièrent une plus grande estime d’eux-mêmes, une plus grande confiance en eux et en les autres, un plaisir et un désir d’apprendre et de nouvelles attitudes relationnelles qui porteront leurs fruits sur le long terme. » Odyssée rencontre chaque groupe à plusieurs reprises et invite chaque fois les jeunes à remplir un questionnaire d’évaluation, tout comme elle le demande aux adultes qui accompagnent ces ateliers. Quelques témoignages.
- « Les ateliers se sont super bien passés et les élèves en gardent de bonnes impressions. Je tiens à vous remercier pour ce travail et espère que notre collaboration puisse continuer prochainement. » (Coordinatrice accrochage scolaire et orientation)
- « Ce petit message pour vous faire un tout petit retour des animations en 4 PA et 3 PA d’hier. Tout s’est très bien passé, les élèves ont bien joué le jeu. Les animateurs étaient super, chouette énergie ! Merci beaucoup et au plaisir de les accueillir pour la suite des animations. » (enseignante)
- « Je me permets de revenir vers vous suite aux animations qui ont eu lieu au sein de notre école. Quelles interventions intéressantes et percutantes ! MERCI ! J’espère que vos collègues ont autant apprécié que nos élèves ! Est-il possible de planifier d’autres dates encore cette année scolaire-ci ? » (assistante sociale)
- « J’apprends à écouter mes sentiments. » (élève)
- « Cela nous a fait beaucoup de bien de participer à cet atelier et j’ai appris des choses. » (élève)
- « Sympa et drôle. » (élève)
- « J’ai fait connaissance autrement avec les autres. » (élève)
- « J’ai découvert de nouvelles personnalités au sein du groupe. C’est agréable d’avoir des activités comme celles-ci. » (élève)
- « Ça m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses, ils étaient géniaux (les formateurs), c’est cool et au moins on fait des activités à l’école, j’aimerais d’autres journées parce que c’est super, j’ai appris sur mes qualités, j’ai appris des choses sur moi et sur les autres, j’ai appris des choses sur mes amis, c’était intéressant, cela a ajouté de la bonne humeur à la journée, c’était grave bien, j’aime bien ces activités, je me suis découvert et j’ai presque pleuré, les formateurs sont gentils et à l’écoute des élèves, ils sont respectueux, j’ai adoré les activités. » (élève)
2.5 Contact
ASBL Odyssée
Catherine Sztencel, directrice
Rue du Doyenné 96 à 1180 Bruxelles et Rue des Douze Apôtres 3 à 1000 Bruxelles
Tél. : 02 343 83 61
Courriel : direction@odysseeasbl.be
Site : www.odysseeasbl.be
3. Le Zététique Théâtre - « Les brise-lames » : ateliers de création à l’IPPJ de Fraipont
Le Zététique Théâtre – le Zet – est une compagnie de créations pour les tout-petits, les enfants et les ados qui explore différents outils pour entrer en contact avec ces jeunes publics : le théâtre, l’écriture, la danse, la vidéo, le son, et les croisements entre ces différentes disciplines. L’équipe se constitue d’un collectif d’artistes, également intervenants en médiation. Ensemble, ils portent un projet culturel et artistique qui se construit sur le long terme.
« Les brise-lames », c’est une rencontre entre des jeunes en institution et la culture, venue jusqu’à eux dans leur monde clos. « Dans les IPPJ, les institutions publiques de protection de la jeunesse, les droits culturels des jeunes ne sont pas rencontrés, constate Jonas Luyckx, le cinéaste qui porte ce projet. L’institution n’offre aucun espace pour exercer la liberté de création, qui constitue pourtant un rempart essentiel à la préservation de leur santé mentale et émotionnelle, et de leur bien-être. » Dans le respect du code de l’aide à la jeunesse, intégrer la créativité reste un défi, mais les partenaires de ce projet sont convaincus qu’il y a dans leur complémentarité un réel bénéfice à offrir à ces jeunes en situation de décrochage (familial, scolaire, social) pour les amener à la rencontre de l’art et de l’expression qu’ils portent en eux. « Le projet a débuté en 2018, poursuit-il. Nous avons déjà eu la chance de collaborer avec l’IPPJ de Saint-Servais, la seule pour filles, et avec la section fermée de l’IPPJ de Fraipont. Cette fois il s’agit de sa section ouverte. Chaque édition a ses particularités et chaque résultat son originalité… »
IPPJ ? Les institutions publiques de protection de la jeunesse accueillent exclusivement, en régime ouvert et/ou fermé, des jeunes poursuivis pour des faits qualifiés d’infractions, âgés de quatorze ans au moins, ou à partir de douze ans dans des circonstances exceptionnelles. Les IPPJ poursuivent un objectif de réinsertion sociale des jeunes qui leur sont confiés, en répondant aux besoins reconnus notamment en matière de délinquance juvénile et en s’inscrivant dans une démarche éducative et restauratrice. Les six IPPJ relevant de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont organisées de sorte à inscrire leur action dans un continuum éducatif qui vise à faire bénéficier chaque jeune d’un trajet éducatif répondant à ses besoins individuels d’insertion sociale et familiale. L’organisation mise en place depuis le 1er janvier 2022 garantit un socle commun pour la prise en charge des jeunes confiés aux institutions publiques. Trois types de projets éducatifs sont mis en œuvre : l’évaluation et orientation (en régimes ouvert et/ou fermé), l’éducation (en régime fermé, en régime ouvert intra et/ou extra-muros) et l’intermède (time-out) en régime ouvert. (www.aidealajeunesse.cfwb.be et/ou https://www.aidealajeunesse.cfwb.be/ajss-pro/services-publics-decentralises-sajspjippjemaccmdsp/les-institutions-publiques-de-protection-de-la-jeunesse-ippj/)
IPPJ ? Les institutions publiques de protection de la jeunesse accueillent exclusivement, en régime ouvert et/ou fermé, des jeunes poursuivis pour des faits qualifiés d’infractions, âgés de quatorze ans au moins, ou à partir de douze ans dans des circonstances exceptionnelles. Les IPPJ poursuivent un objectif de réinsertion sociale des jeunes qui leur sont confiés, en répondant aux besoins reconnus notamment en matière de délinquance juvénile et en s’inscrivant dans une démarche éducative et restauratrice. Les six IPPJ relevant de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont organisées de sorte à inscrire leur action dans un continuum éducatif qui vise à faire bénéficier chaque jeune d’un trajet éducatif répondant à ses besoins individuels d’insertion sociale et familiale. L’organisation mise en place depuis le 1er janvier 2022 garantit un socle commun pour la prise en charge des jeunes confiés aux institutions publiques. Trois types de projets éducatifs sont mis en œuvre : l’évaluation et orientation (en régimes ouvert et/ou fermé), l’éducation (en régime fermé, en régime ouvert intra et/ou extra-muros) et l’intermède (time-out) en régime ouvert. (www.aidealajeunesse.cfwb.be et/ou https://www.aidealajeunesse.cfwb.be/ajss-pro/services-publics-decentralises-sajspjippjemaccmdsp/les-institutions-publiques-de-protection-de-la-jeunesse-ippj/)
3.1 Projet
« Les brise-lames » est une récurrence d’ateliers de création hebdomadaires au sein de l’IPPJ qui aboutit à un film collectif, et qui complète les pistes de construction et de reconstruction offertes aux jeunes qui y séjournent. « Ce projet vise à instaurer une dynamique de collaboration qui intègre peu à peu ces ateliers au projet global de l’établissement », ajoute Jonas Luyckx. L’espace de liberté qui leur est offert permet de faire surgir des choses intéressantes, souvent au départ d’une première consigne. Les jeunes font part de leurs idées, ils font des suggestions. « Les films sont construits uniquement au départ d’improvisation. Il n’y a pas d’écriture de scénario. Nous proposons de mettre leurs idées en image et au fur et à mesure, tout cela commence à raconter quelque chose… C’est vraiment une collaboration entre eux et nous. Au début, on leur dit toujours que l’on va cheminer ensemble dans un processus de création, qu’on ne sait pas où on va… mais qu’on en a l’habitude, qu’on arrivera quelque part et que ça va être bien ! »
3.2 Le public
Le projet « Les brise-lames » est proposé aux jeunes garçons de la section ouverte de l’IPPJ de Fraipont. « Il y a une grande différence entre la section ouverte et la section fermée, au sein de laquelle nous avions déjà travaillé les années précédentes », explique Jonas Luyckx. En section ouverte, les jeunes sont dans un programme qui vise à une réinsertion. Pour cela, ils participent à différents ateliers : menuiserie, peinture, céramique, électricité ou construction de mobilier urbain… Ils ont aussi la possibilité de retourner chez eux les week-ends et pendant les vacances. La section avec laquelle le Zet a travaillé rassemble douze jeunes.
3.3 La méthodologie et ses effets
Dix ateliers de théâtre et de cinéma ainsi que deux journées de tournage étaient proposés, Jonas Luyckx à la caméra et Antoine Renard à la direction de jeu. Pas question ici d’éducation aux médias ni de transmission d’une technique artistique ; le projet se développe de façon horizontale et chacun le nourrit avec ce qu’il est. « Grâce aux disciplines artistiques, nous ouvrons la possibilité de s’exprimer, nous offrons une forme de liberté, dit Jonas Luyckx. Nous développons aussi des moyens ludiques pour découvrir, créer, imaginer dans le jeu, dans le plaisir, et nous sommes attentifs à ce que tous se sentent valorisés dans ce qu’ils sont et dans ce qu’ils ont à proposer. »
3.4 Making of
Chaque chose qui naît dans l’atelier fait partie d’une étape du film. Le premier atelier d’improvisation théâtrale avec les jeunes est basé sur un échange téléphonique entre deux personnes. Ils sont répartis en groupe de deux, dos à dos, les autres étant spectateurs : le premier veut venir chez l’autre et l’autre ne veut pas…
Lors du deuxième atelier, cet exercice a été mis en images, toujours sous forme d’improvisation. « Ça leur a permis une première approche de la caméra et du jeu face caméra. Ils doivent rester dans leur personnage alors qu’à certains moments la caméra est à trente centimètres de leur visage. »
Lors de l’atelier suivant, les jeunes ont proposé des idées : filmer dans un désert, voir la mort qui parle, filmer dans la forêt, filmer dans un cinéma, refaire une séquence d’un film culte. « Nous leur avons montré que ces idées pouvaient être réalisées avec peu de moyens, en trouvant des solutions cinématographiques pour leur donner vie. Chacune de ces idées existe dans le film. Au fil des propositions et des improvisations, nous cherchons des liens pour faire naître la cohérence. »
Parmi les premières idées, un des jeunes voulait jouer le rôle d’un Bédouin marchant dans le désert. « A l’IPPJ, il y avait une énorme butte de gravats suite à des travaux. Nous leur avons proposé d’en faire un désert de pierres. Suivant la façon de filmer et en ajoutant des sons de vents, l’illusion serait parfaite. Lors de cette séquence, nous avons fait le lien avec les premières impros et nous avons proposé que le Bédouin se retrouve face à un téléphone qui sonne en plein désert. » La deuxième idée était de filmer dans la forêt et d’aller à la cabane. « Nous avons donc filmé des déplacements dans cette forêt et puis leur arrivée à la cabane, poursuit Jonas Luyckx. Lors de cette séquence, un des jeunes a commencé à parler spontanément de sa vision de l’avenir et de ce que c’était que survivre. » La troisième idée est naturellement reliée à la précédente. « Ils voulaient filmer dans un cinéma. Nous leur avons proposé un raccord entre l’arrivée à la cabane et l’entrée au ciné Le Parc, où nous avons tourné un matin avant la première séance. » Leur quatrième idée était de rejouer une séquence du film Scarface de Brian De Palma. « Nous ne voulions pas masquer leur visage pour conserver la qualité de leur jeu, mais il fallait aussi préserver leur anonymat. Nous avons décidé de retravailler les images par la suite en utilisant l’intelligence artificielle et ainsi faire un lien avec les propos d’un jeune qui nous parlait de la façon dont il voyait l’avenir et le fait qu’on soit un jour remplacés par des robots… »
Une difficulté récurrente est en effet de ne pas montrer le visage des participants. D’une part parce qu’ils sont mineurs et qu’il faudrait obtenir l’accord du juge, de leurs parents, mais surtout parce qu’ils ont le droit à l’oubli de cet épisode de leur vie. « Cela impose des limites au jeu face caméra et nous devons recourir à des stratagèmes technologiques pour les rendre non reconnaissables. »
3.5 Partenariat
Le principal allié du projet, c’est l’IPPJ de Fraipont évidemment. Seyfi Kumlu, le directeur, en exposait les missions dans un reportage réalisé par le Centre d’action laïque (« IPPJ, au-delà de nos yeux », Libre, ensemble, 12 mai 2024, www.laicite.be). Il revient aussi sur le projet « Les brise-lames ».
« L’objectif, dit-il, c’est la réhabilitation de ces jeunes, faire en sorte que ces jeunes puissent réintégrer la société, le vivre-ensemble dans les meilleures conditions qui soient. Et pour ce faire nous avons des équipes pluridisciplinaires ; il s’agit d’équipes éducatives qui sont là au quotidien, qui deviennent des espèces de référents, des substituts avec lesquels le jeune échange au quotidien sur des questions qui le concernent, la vie domestique, mais aussi les projets d’avenir. En parallèle nous avons une équipe PMS : assistantes sociales, psychologues, qui vont explorer le versant plus individuel, plus intime, plus lié au parcours de vie, les difficultés rencontrées durant l’enfance, les marqueurs importants qui ont provoqué le basculement de l’adolescence dans une trajectoire délinquante. Le but c’est évidemment de faire en sorte que ce jeune puisse ressortir de cette institution avec dans les mains un projet auquel il croit et une vision plus claire de ce qu’il est, ce qu’il était, ce qu’il voudrait devenir. Il y a une dimension sociologique qu’il faut prendre en compte. Ces gamins ne sont pas nés délinquants, ils le sont devenus avec des choix posés, mais aussi parce qu’ils ont été confrontés à des systèmes, à des structures qui parfois sont extrêmement discriminantes, qui visent parfois même à la ségrégation : le logement, les écoles, tous les lieux de socialisation finalement défaillants pour certains aboutissent à ce type d’échec et ces enfants, ces adolescents, en sont l’incarnation. On a une responsabilité à leur égard, au-delà bien entendu de la gravité des actes qui sont commis, qui doivent évidemment faire l’objet d’attention. Nous sommes tout à fait conscients qu’il faut aborder ce qui a été commis, voir dans quelle mesure le jeune peut réparer, s’inscrire dans une réparation, mais on a la responsabilité de les amener à ne pas reproduire ces schémas qui parfois sont transgénérationnels. Notre volonté avec Jonas, c’était de mettre en avant leur capacité à penser le monde en tant que futur citoyen. Et il était très intéressant pour nous de démontrer que ces adolescents fragilisés – dont on pourrait considérer qu’ils ne sont pas concernés, qu’ils sont en rupture avec la société, qu’ils ont commis des délits – sont tout à fait à même de développer une pensée très intéressante sur le monde. En l’occurrence, le premier travail de collaboration avec Jonas c’était l’enfermement et l’attente. Dans LIBERTA [le film collectif précédent, NDLR], ce qui est exploité, c’est cette espèce d’attente. Samuel Beckett [écrivain, poète et dramaturge irlandais] l’a fait, et nos jeunes sont tout à fait à même de le faire également, et c’était ça pour nous le tour de force, avec des adolescents qui ne sont pas forcément armés. Ils n’ont pas été initiés à des techniques de théâtre, ils n’ont pas eu des cours d’élocution et ils développent quelque chose d’extrêmement créatif. Ça nous tenait à cœur de pouvoir aller toucher cette niche de la population, cette frange de la jeunesse qui n’a pas forcément accès à ces outils, qui en est exclue ou qui s’en exclut elle-même. »
3.6 Evaluation
Dans la section fermée, les jeunes sont d’une certaine façon captifs du projet. « Ce projet, c’est une bulle d’air. Une bulle pour – un peu ? – mieux vivre leur situation de placement. Mais le succès vient aussi de la découverte : je filme et monte les étapes de travail entre les séances. Ils voient la qualité des images. Ils voient les choses se construire et ça aide pour qu’ils entrent dans le projet et que le projet évolue. » Parler face à une caméra, livrer une parole… ces jeunes ne disposent pas d’un tel espace dans leur famille ni dans le cercle de leurs copains. « On essaie d’avoir une organisation la plus horizontale possible. Même s’il y a une forme de hiérarchie à l’intérieur du groupe et de la gestion du projet, il y a beaucoup d’écoute par rapport à ce qu’ils proposent ou par rapport à ce qu’ils ne veulent pas. C’est quelque chose qu’ils n’ont pas non plus l’habitude de vivre. On n’est pas des éducateurs et on ne vient pas leur apprendre à faire du cinéma. Il n’y a pas de points, ils ne sont pas cotés. S’ils ne veulent pas participer, ils ne participent pas. On doit accepter leurs limites. »
Le régime ouvert de l’IPPJ rend cependant les jeunes moins disponibles pour les ateliers artistiques proposés par le Zet et la principale difficulté découle de cette nécessité d’adapter les horaires à leur emploi du temps. « Nous n’avons donc pas tenu le cadre initial d’un atelier à horaire fixe et régulier. Le regroupement des activités sur des temps plus rapprochés a eu pour avantage de concentrer la mobilisation des jeunes et de garder un cap vers l’aboutissement. » Une formule qui convient mieux aussi à la réalité de l’institution, car on ne sait jamais vraiment combien de temps les jeunes vont y séjourner. « Nous devons fonctionner avec un groupe qui n’est jamais tout à fait le même, qui se reforme au gré des départs et des arrivées. » La participation est volontaire et quatre jeunes sur les douze ne se sont jamais impliqués dans le projet. « C’est un projet fragile, reconnaît le cinéaste. Mais certains parmi ceux qui ne voulaient pas participer au départ ont finalement rejoint le projet en route. Ils ont pris du plaisir, ils se sont sentis entendus, ils ont participé de façon active et sont fiers du résultat final. »
L’évaluation de l’équipe éducative rejoint celle du Zet : le problème principal vient du cumul avec d’autres activités extérieures, mais ses membres sont positifs devant le résultat : l’approche des jeunes sous cette forme a permis de détendre l’atmosphère. Ils ont été surpris de leur implication et plus encore venant de ceux avec qui ils avaient des soucis au quotidien. « Ils augurent également que cela pourra mettre une pression positive aux éducateurs des autres sections amenés à s’impliquer lors des éditions ultérieures du projet, rapporte Jonas Luyckx. De notre côté, nous estimons que le partenariat a bien fonctionné. Les éducateurs sont souvent en retrait au cours du projet, mais il y a eu des moments de partage privilégiés avec les jeunes à certains moments de tournage ou lors de discussions qui ont permis aussi de renforcer leurs liens. »
Jonas Luyckx a clairement vu un changement dans l’attitude des jeunes. Il note une évolution des perceptions qu’ils ont d’eux-mêmes et du groupe. D’abord par le regard que les autres portent sur eux. « On voit une forme de respect, de bienveillance dans l’apport que chacun amène au projet. Ils nous ont dit qu’ils étaient heureux d’avoir participé et ils nous ont aussi dit qu’ils se sentaient écoutés, valorisés et que c’était très important pour eux. Ce film fut une réelle expérience collective et les jeunes ont bien conscience que rien n’existe sans le groupe. »
3.7 Le film
NOUS SOMMES LES PAYSAGES DÉVASTÉS (2023). Film collectif réalisé à l’IPPJ de Fraipont par Quentin, Sekou, Olivier, Walid, Samuel, Berkane, Leonardo, Mohamed, Tyler, Antoine et Jonas. 21 min.
Lien pour visionner le film : https://lesbriselames.org/steps/nous-sommes-les-paysages-devastes/
Ce film est de l’ordre de l’essai artistique, éloigné de ce que les jeunes peuvent rencontrer comme objet culturel. « Il convoque un registre tantôt poétique, tantôt ludique, et il vise à se décaler du quotidien », souligne Jonas Luyckx. Il est composé des séquences de fiction imaginées par les jeunes et de rencontres individuelles au cours desquelles les jeunes posent des questions à leurs pairs. « On observe chez eux un très grand besoin de parler de leur vie. Chacun a pu inscrire dans ce film un regard, une part de sa sensibilité, une parole, de façon libre.
En valorisant leur parole au sein d’une forme artistique aboutie, ces jeunes issus de groupes minorisés ont acquis une certaine reconnaissance d’eux-mêmes. Un bagage qu’ils pourront emporter avec eux – c’est du moins ce que nous espérons – au sortir de l’institution », assure-t-il.
Lors de sa programmation, ce film a été présenté aux côtés des deux précédents : LIBERTA (2019, film collectif réalisé à l’IPPJ de Fraipont, 38 min) et ATЯƎꓭI⅃ (2022, film collectif réalisé à l’IPPJ de St-Servais, 15 min). « Il est très important de montrer la parole de ces jeunes, de montrer leur vie, dont on a une vision souvent fantasmée et stéréotypée, de rendre ces films visibles aux instances, aux administrations et aux politiques. Important également de le montrer dans les écoles, en particulier celles qui forment des éducateurs, insiste Jonas Luyckx, qui met en point d’honneur à ce que cette parole sorte des murs. L’essence d’une pratique artistique, c’est de rejoindre à un moment dans notre parcours un public pour livrer ce que l’on a à dire, que ce soit par la peinture, la sculpture, le cinéma. » Les jeunes savent que leur film va en rejoindre d’autres et va surtout rejoindre leurs pairs. Ils savent que leur film a une vie et qu’il sera vu par plusieurs centaines de personnes.
3.8 Contact
Le Zet
Jonas Luyckx
Rue Wiertz 38 bte 11 à 4000 Liège
Tél. : 04 262 77 88
Courriel : j.lu@zetetiquetheatre.be ; zetetiquetheatre@gmail.com
Sites : www.zetetiquetheatre.be et www.lesbriselames.org
4. Le Forum Bruxelles – Lutte contre les inégalités « Le Laboratoire des liens »
Le Forum est agréé comme centre de ressources relatif à la lutte contre la pauvreté et pour la réduction des inégalités sociales par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Depuis 2016, il s’intéresse aux questions de jeunesse précarisée, aux « jeunes en errance » depuis 2018 et à la question de la « prévention des ruptures dans le parcours des jeunes » depuis 2022. Il développe alors un programme d’actions avec des jeunes confrontés à des violences institutionnelles – visibles, invisibles ou symboliques – dans les lieux ou les instances susceptibles de repérer, prévenir ou lutter contre la précarité, les ruptures, les violences : système (péri)scolaire, structures d’aide à la jeunesse, services sociaux et de santé, etc. Les jeunes les plus confrontés à la pauvreté et à la déprivation matérielle sont également les plus concernés par les phénomènes de non-recours et d’invisibilisation. Dans leurs parcours, ils développent une expertise qui pourrait être utile aux institutions pour les aider, ainsi que d’autres jeunes à risque, à ne pas se retrouver dans des situations similaires.
4.1 Le projet
Le Laboratoire des liens est une partie d’un projet porté par le Forum appelé « Prévention des ruptures dans le parcours des jeunes ». Il s’est déroulé en trois temps et a comme objectif final d’aider les jeunes à ne pas ou à ne plus se retrouver dans des situations de rupture : un temps de collecte, un temps d’analyse, un temps d’échange. « Ce projet a pour finalité de renforcer les moyens de prévention et de lutte contre la pauvreté de la jeunesse par la formalisation de leurs savoirs expérientiels, des savoirs généralement peu pris en compte dans ces domaines », précise Lucie Augsbourger, chargée du projet. Il est également basé sur le principe de la pair-aidance, dans l’idée que les jeunes qui se rencontrent et discutent de ces sujets se nourrissent les uns des autres. Il comprend des recommandations, un volet plaidoyer et des outils destinés aux lieux et acteurs de la prévention, ainsi qu’au grand public.
4.2 Le public
Sont concernés les jeunes âgés de quinze à vingt-cinq ans, vivant ou ayant vécu des ruptures de lien dans un ou plusieurs milieux de socialisation (famille, école, emploi, institutions, relations, etc.), quelles qu’en soient les causes (mésentente, démotivation, délinquance, troubles mentaux, violences, etc.) ou les conséquences (placement, errance, sans-abrisme, mesures judiciaires, exclusions, décrochage…).
Sur environ trente structures sociales mobilisées dans l’ensemble du projet, certaines ont été ciblées pour la récolte de la parole des jeunes et la réalisation de podcasts. « Nous sommes allés dans les réseaux de partenaires déjà mobilisés sur la question des jeunes en errance et nous avons travaillé plus spécifiquement avec des jeunes de six structures bruxelloises : le SAS (service d’accrochage scolaire) Le Seuil, la maison d’accueil @Home, Solidarcité, le Foyer Tamaris-Tamaya, Le Refuge, le CEMO (centre d’éducation en milieu ouvert). Nous avons ensuite présenté le projet et ses modalités aux jeunes. » Une trentaine de garçons et de filles ont eu l’élan d’y participer. Tantôt en témoignant de leur parcours individuel, tantôt en abordant des thématiques plus larges. « La question de la résilience était la thématique de l’appel à projets du Fonds Houtman. Mais, pour nous, la question du parcours des jeunes et des ruptures (difficultés) rencontrées était centrale : savoir ce qu’il s’est passé avant, pendant, et savoir comment ils s’en sont sortis. Le but étant de faire de ces témoignages un tout qui sorte de l’unique pouvoir d’agir d’une seule personne, d’arriver à un savoir plus collectif et d’amener tout cela dans un contexte plus global que la stricte résilience individuelle », résume Lucie Augsbourger.
4.3 Le laboratoire des liens
C’est la première partie du triptyque : un espace d’expression pour les jeunes. Ce laboratoire a pour objectif d’identifier et de formaliser les causes, les situations, les moments, les transitions conduisant à la précarité, au non-recours, à l’invisibilisation, à l’errance, à la violence (perçue, ressentie, provoquée), conduisant à la rupture avec les sphères d’insertion et d’intégration « classiques » : famille, école, emploi, etc. « Il s’agit de tenter de comprendre quelles ruptures interviennent quand, et quel impact elles ont », dit Lucie Augsbourger.
La parole des jeunes a été récoltée lors d’ateliers radio (en partenariat avec l’ASBL Comme un Lundi), de focus groups et d’enregistrements individuels. Cette matière a servi de matériau pour la réalisation de podcasts sous forme de portraits ou de capsules thématiques. Le contenu étant défini en grande partie par les jeunes, la forme a quant à elle été travaillée de concert entre les chargées de projet du Forum et les intervenants de Comme un Lundi. Souvent en lien avec la spécificité des associations qu’ils fréquentent, les jeunes ont entre autres abordé le décrochage scolaire, la justice et ses représentations, l’adolescence et la santé mentale, l’impact de la pandémie, la parole des jeunes de la génération Z, l’exclusion, l’errance et les portes d’entrée, le placement, la psychiatrie, la famille, les addictions, les questions LGBTQIA+. Ils ont aussi formulé leurs recommandations à destination des adultes qui allaient les écouter.
Cinq podcasts – qui sont cinq portraits de jeunes – ont été diffusés sur les réseaux, les plateformes de streaming et les sites internet. Ils ont aussi été envoyés à la base de données du Forum et à différentes radios et émissions pour une diffusion grand public (Radio Campus, Radio Panik, Transversal, Podcast Zoomer, Bx1, etc.). Ces podcasts sont à retrouver ici : Ruptures, les jeunes en parlent :
- « À l’école, je suis toujours descendu étape par étape »
- « Le juge s’est dit qu’on devait m’éloigner de ma famille »
- « On ne peut pas guérir dans un endroit qui nous a rendus malades »
- « Le passage d’une vie difficile, vers une plus stable »
- « Demander de l’aide, c’est la meilleure décision »
4.4 Le groupe des personnes-ressources
La parole des jeunes a ensuite été amenée vers un groupe de personnes-ressources. Une vingtaine de professionnels se sont mobilisés pendant un an sur base de cette parole pour l’analyser, la corroborer, la nuancer et amener leur expertise professionnelle sur les sujets que les jeunes ont abordés, notamment par le biais des podcasts. Les deux parties se sont en quelque sorte répondu de manière indirecte : le savoir des jeunes se confrontant au savoir des professionnels autour des thématiques mises en lumière lors du laboratoire.
Les membres représentaient les différentes sphères qui entourent les jeunes et leurs difficultés : la maison d’accueil @Home 18-24, l’ASBL Macadam, l’AMO Samarcande, les Sentiers de la Varappe, le SAJ, le CPMS de Saint-Gilles, le réseau Bru-Stars, le Centre de guidance d’Ixelles, Le Refuge, le Foyer Tamaris-Tamaya, l’ASBL Abaka, SOS Jeunes, Diogènes, la police (Ixelles), le tribunal de la jeunesse de Bruxelles, la prévention décrochage scolaire de la commune de Forest, l’association 9 m², Infor- Drogues, l’organisation de jeunesse JES, 100 % Jeunes (pour la Solidarité), le CEMO, la maison de l’adolescent Mado Sud, la FAPEO (Fédération des parents et associations de parents de l’enseignement officiel), Prospective Jeunesse, la Cellule Deal 18-25 du CPAS de 1000 Bruxelles, l’ASBL Capuche, la Cellule de la lutte contre la pauvreté et pour la réduction des inégalités sociales de la FWB, le DGDE, le dispositif PsyBru, le planning familial Plan F, la LBSM (Ligue bruxelloise pour la santé mentale), des SAPSE (Services d’accompagnement psycho-socio-éducatif).
4.5 La manufacture des préventions
Vient le moment de mettre tout le monde ensemble et de croiser les savoirs ! « Nous avons réuni une dizaine de jeunes, une dizaine de professionnels et une dizaine de chercheurs dans un espace-temps de quatre jours pour analyser la matière produite au cours du laboratoire et pour créer un outil de prévention et de plaidoyer déclinable sous diverses formes », explique Lucie Augsbourger. Inspirée de la méthodologie de croisement des savoirs d’ATD Quart Monde, cette manufacture a été organisée en collaboration avec le Centre de recherche de Bruxelles sur les inégalités sociales (CREBIS). Le Forum a aussi réalisé une revue de la littérature et établi un répertoire des thématiques, des références utiles à ce travail collégial.
« Grâce à l’implication des acteurs professionnels de la prévention qui entrent en dialogue avec ces jeunes et des chercheurs, nous visions la mise en place de conditions permettant une réelle prise en compte de leurs messages par les services de terrain, les administrations et les politiques », ajoute Lucie Augsbourger.
4.6 Autres réalisations
Plusieurs outils sont nés de ce processus de récolte d’informations et d’analyse, notamment la rédaction d’un plaidoyer et de recommandations. « Le projet portant sur la jeunesse et les ruptures avec différentes sphères d’insertion et d’intégration, il nous semble essentiel de diffuser l’ensemble de nos outils dans le milieu scolaire afin d’augmenter notre impact en matière de prévention », dit Lucie Augsbourger.
- Un plaidoyer, sous forme d’un cahier d’enseignements et de recommandations dédié à cette expérience, publié dans le cadre du projet d’École de Transformation sociale du Forum.
- Une conférence gesticulée sur les thématiques : jeunes, institutions et travail social. (A venir)
- Un trimestriel PauVérité sur les enjeux et limites de la participation des jeunes.
- Une mallette pédagogique est en construction, contenant tous les outils produits lors de ce projet et un guide d’animation de groupes de parole pour les enseignants et autres professionnels, un dossier thématique destiné aux élèves.
- Une offre de formation est à l’étude.
4.7 Difficultés et solutions
Quelques éléments ont été ajustés en cours de route. « À la difficulté organisationnelle s’ajoute celle pour les jeunes à être fiables à 100 %, explique Lucie Augsbourger. Certains nous ont donné rendez-vous et ne sont pas venus et c’est normal. Faire parler des jeunes ne doit pas non plus les mettre dans une position de disponibilité. Ils ont leur réalité de vie difficile, et font face à des urgences. » Il a donc fallu s’adapter continuellement. « Comme nous partions de la parole des jeunes, l’anticipation n’était que partiellement possible. C’est stimulant et délicat à la fois, car de nouvelles idées naissent et le temps de réalisation est parfois trop court. »
Les professionnels ne disposent pas toujours non plus du temps nécessaire pour se mobiliser sur un tel projet. Quant aux acteurs institutionnels… « En période électorale, des contacts pour présenter le projet ont permis de sensibiliser divers cabinets et administrations concernés par la problématique des ruptures chez les jeunes, mais il n’a pas été possible d’inclure ces acteurs dans le dispositif de la manufacture des préventions », ajoute Lucie Augsbourger.
4.8 Quelques enseignements
Écoute. Les jeunes ont le sentiment global de ne pas être écoutés. « Parfois on leur donne la parole, mais on ne les écoute pas vraiment, fait remarquer Lucie Augsbourger. Ici, ils ont revendiqué d’être écoutés sous deux angles : dans une sorte de parole collective, citoyenne, voire militante – mais ils n’en sont peut-être pas encore là –, et dans une démarche plus individuelle, sur leur parcours personnel et institutionnel ». Ils ont besoin d’être entendus, certes, mais la chargée de projet nuance : « Sous couvert d’une participation bien-pensante au départ, il ne faut pas se déresponsabiliser non plus, car les jeunes ont aussi besoin d’être accompagnés dans leur prise de parole et dans leur parcours. »
Décrochage scolaire. Tous les jeunes passent par l’école et la question du décrochage scolaire est relativement centrale. « L’école est le lieu massif du décrochage alors qu’elle est étrangement parfois aussi le dernier lieu de raccrochage, note-t-elle, c’est la dernière institution dans laquelle ils ont parfois encore une place. »
Cumul de difficultés. Dans les questions d’errance (et même avant), on croise souvent des jeunes qui cumulent des difficultés scolaires, familiales, économiques, des problèmes avec la justice, etc. Un gros nœud de situations difficiles à démêler et des jeunes jugés incasables dans les rouages institutionnels.
Santé mentale. La précarité et la pauvreté sont un terreau fertile. « Est-ce le point de départ de tout ? interroge Lucie. Est-ce quelque chose qui rend toute sortie d’une difficulté plus difficile ? Sans doute. On fait porter à un jeune le poids de sa santé mentale et de sa propre situation, alors qu’il est porteur du symptôme d’une individualisation de la prise en charge et de la pathologie. »
Famille. En termes de rupture, celle avec la famille a souvent été abordée. « On a beaucoup parlé de placement puisqu’on était dans des structures de placement de l’aide à jeunesse, mais également de relations familiales, qui restent malgré tout différentes les unes des autres. »
Résilience. Lucie Augsbourger se veut critique sur cette notion, notamment par rapport au biais de l’individualisation du social et de la responsabilisation : « Les jeunes doivent s’en sortir alors que plein de choses autour d’eux sont compliquées. On leur demande d’être au centre de leur dispositif, de s’en sortir, de trouver des moyens de résilience, d’être experts de leur vécu, de sensibiliser les adultes… ça fait beaucoup de responsabilités pour des individus qui sont dans des situations parfois extrêmement lourdes. Mais en même temps, le fait de pouvoir s’exprimer sur leur parcours peut être considéré comme un outil de résilience en ce sens que certains prennent conscience des capacités qu’ils ont, parfois accompagnés, parfois seuls, à mettre des choses en place pour survivre parfois et pour avancer dans des parcours chaotiques. Mais c’est peut-être plus de la débrouille et de l’intelligence… »
Parler et être écouté dans un contexte délié de toute obligation a montré ses vertus. « Si toutes les associations avaient les moyens de se payer un intervenant extérieur pour faire émerger cette parole, ce serait génial ! Lance-t-elle. Réfléchir, se raconter et s’entendre, particulièrement grâce aux enregistrements, cela aide, je pense, à la visualisation de son propre parcours. Certains en sont sortis parfois un peu secoués et en même temps valorisés. » Le Forum leur a demandé comment ils se débrouillaient personnellement. C’est une manière de leur faire prendre conscience des leviers que l’on peut mettre en place à des échelles plus globales. « Mais il est vraiment important que les adultes, notamment les travailleurs sociaux, les accompagnent et ne laissent pas “la résilience” aux seules mains des jeunes », conclut-elle.
4.9 Paroles des participants
Il ressort de ce processus une image globale et nuancée des points de rupture dans les parcours des jeunes, ainsi qu’une série de recommandations, générales et spécifiques, en vue de les prévenir. Des jeunes et des adultes ont livré leur avis sur le processus.
- « Je voudrais continuer ce genre de projet. C’est la première fois que j’ai la parole et que l’on m’écoute. » (Jeune)
- « Des éléments de réflexion sur des façons de travailler, des idées de faire autrement. Sur le fond, cela apporte beaucoup d’écouter les autres groupes. Et on arrive quand même à des choses communes. » (Professionnel)
- « Nous ne sommes tellement pas habitués à ça. Que c’est compliqué… Construire un truc commun et voir à quel point c’est difficile, ça me frustre. C’est plus difficile que ce que j’avais pensé. » (Chercheuse)
- « Je suis un peu secouée, car cela me rappelle pourquoi j’avais démissionné de mon travail d’éduc’. J’ai l’impression d’être tout le temps sous pression, de faire partie d’un système qui produit de la violence. » (Professionnelle)
- « J’en ressors renforcé, avec une envie de changement, de mouvement, de réenchantement. L’envie de se battre et de combattre. » (Professionnel)
- « Ce qu’on est en train d’expérimenter, c’est un dispositif où on met à plat la domination. » (Chercheur)
Et un parcours de vie : « J’ai toujours manqué de soutien depuis que je suis petit. Dans tous les domaines, tout ce qui est scolarité, quand j’ai besoin d’aide, quand je ne suis pas bien… Quand j’ai été harcelé à l’école, je le disais, mais ils s’en foutaient quoi. Ils ne m’aidaient pas, ils me laissaient dans ma “merde”, si je peux me permettre. Donc, voilà, c’était assez compliqué de tenir le coup. J’ai seize ans, je suis au SAS depuis deux semaines. Je viens d’être renvoyé de mon école pour cause de… Déjà, je me suis fait agresser devant l’école pour des problèmes et j’étais dans une école où j’avais un patron. Je n’y allais pas tout le temps, j’étais absent souvent, donc j’ai été renvoyé de chez lui. Pourtant, le patron disait que j’étais motivé, que j’avais un avenir là-dedans, c’est bête que j’aie tout foiré… J’ai été déçu, mais bon, je sais que c’est toujours ce que je veux faire. J’ai toujours aimé la pâtisserie-boulangerie et j’aimerai ça tout le temps. Du coup, je me suis dit que c’est une bonne idée d’aller au SAS pour prendre un temps pour moi, savoir ce que je veux vraiment faire, me poser, trouver une bonne école qui me conviendrait, un système de vie qui serait plus adapté pour moi. C’était compliqué l’école parce que ce n’est pas un enseignement qui me convient (…). Un week-end sur deux, je vais voir ma famille, ma vraie famille. Et comme je travaillais le week-end où j’allais chez ma mère, et bah du coup je ne pouvais jamais la voir. Et c’est à cause de ça que j’ai arrêté, parce que ce n’est pas un truc qui me convient et que ma famille, c’est tout pour moi. Je pourrais tout arrêter pour eux. C’est une chose qui me tient plus qu’à cœur, c’est un bonheur. Je suis en famille d’accueil depuis dix ans. Ce suivi vient d’être arrêté par le tribunal, il y a deux semaines. Ça nous a fait mal à tous parce que c’était une décision comme ça, même pour moi, c’était assez compliqué. Mais cette décision fait que je vais pouvoir aller plus chez ma mère. Quand on était à l’audience publique, la juge a dit que mon suivi chez marraine allait se terminer et qu’elle n’allait plus être ma marraine d’accueil et que ma mère allait reprendre le rôle de tutrice légale. Moi, je n’étais pas très content, parce que je voulais que ça soit fait en plus de temps, que ça prenne du temps, qu’on réfléchisse bien (…). Là, je viens de me détacher d’une personne qui comptait beaucoup pour moi. C’est comme une deuxième maman et maintenant, elle fera plus partie de ma vie, donc ça fait assez mal. C’est comme un abandon. Je suis dans des centres depuis que j’ai cinq ans, je vis là-dedans. Personne ne me soutenait, ils me rabaissaient, en disant “t’es une merde, tu vas finir clochard”, que je n’ai “pas d’avenir”. Pourtant, ces éducateurs, des fois, ils disent des choses pour aider, mais la plupart du temps, ils essaient de rabaisser les autres. J’ai fait un tour en IPPJ pour stupéfiants, armes et port d’armes, enfin munitions et fugues à répétition, tout ça à cause de mon ancienne école, de mes amis, des mauvaises fréquentations. On avait un rendez-vous au tribunal, encore une fois. On est rentré dedans et on a parlé de tout ce qui allait, ce qui n’allait pas. À la fin, la juge m’a dit : “Il y a deux policiers devant la porte, tu vas partir deux semaines à l’IPPJ”. À ce moment-là, je suis tombé en larmes, total. Je n’étais pas bien. J’ai dû me lever, ils m’ont menotté, on est descendu en cellule. J’ai dû attendre là pendant trois, quatre heures et on est reparti avec d’autres gens avec qui j’ai fait connaissance. On est parti en camionnette, à Wauthier-Braine. C’était un coup de pute quoi ! Clairement ! (…). Toutes ces choses-là, les stupéfiants, les armes et les munitions, je les avais ramenés au centre. Le centre a senti la beuh, vu que ça sent fort. Ils ont fouillé ma chambre, c’est là qu’ils ont tout trouvé. Ils ont appelé la police pour leur donner et deux mois après, j’ai eu une audience et voilà. La juge l’a su, elle l’a lu dans le rapport. Et voilà, je suis parti en IPPJ. L’IPPJ, c’était incroyable. Au début, j’étais en pleurs quand j’y ai été, mais après, j’ai vu qu’il y avait de bons éducs, les jeunes étaient assez sympas. On mangeait très bien comparé à mon centre. Il y avait beaucoup d’activités sportives et tout ça. Et c’est des choses que j’aime beaucoup faire, du sport. Ça m’a aidé à arrêter toutes ces conneries, à réfléchir à pourquoi j’ai fait ça, et voilà, que je dois arrêter, tout simplement. Ce qu’il me faut pour remonter la pente, c’est des bonnes nouvelles, que je puisse voir ma famille, que je trouve une école qui me convienne. Que j’ai un rêve, quoi ! Je fais tout pour y arriver, pour le faire, et je sais que je vais y arriver. Faut juste du temps… »
4.10 Contact
Le Forum – Bruxelles contre les inégalités
Lucie Augsbourger, chargée de projets
Rue Fernand Bernier 40 à 1060 Saint-Gilles
Tél. : 02 600 55 66
Courriel : info@le-forum.org
Site : www.le-forum.org
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