Cahier 34 – Participation des enfants et des jeunes 2/2
Pour aller plus loin...
Et si on écoutait vraiment les enfants ?
Edito
Par Maud Dominicy, Advocacy Manager, UNICEF Belgique, Membre du Comité d’Accompagnement des projets.
La participation, c’est la clef de voûte de nos démocraties. Les modèles représentatifs traditionnels sont de plus en plus remis en cause dans leur forme actuelle et parfois complétés par des systèmes de représentation ou de participation citoyenne plus directes. La participation, le débat, l’action bénévole, les manifestations irriguent la démocratie. Si ce principe est généralement admis concernant les adultes, il est souvent perçu de manière plus équivoque lorsqu’on parle des enfants. Leur participation est encore souvent prise à la légère.
Pourtant, l’enfant a le droit d’être entendu dans toutes les décisions qui le concernent. Il ne s’agit pas d’un droit accessoire ou secondaire, ni d’un privilège consenti à des enfants capricieux. Au contraire, c’est un véritable droit (Article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant). C’est aussi en permettant aux enfants de développer au plus tôt leur esprit critique, en leur ouvrant la voie du dialogue démocratique, et en créant de véritables espaces de participation que les enfants contribuent à la construction d’une société plus solidaire et respectueuse des droits humains.
En matière de participation, il n’existe ni stratégies préétablies, ni modèles idéaux ou universels. En fait, l’existence de tels schémas priverait les enfants de la possibilité de prendre part à la conception et au développement du processus. Néanmoins, on a pu établir neuf principes à respecter pour mettre en œuvre une participation éthique, authentique et durable[1].
La participation des enfants passe d’abord par la transmission d’informations ciblées et adaptées à leur âge. Les enfants doivent connaître les enjeux de leur participation et le suivi qu’ils peuvent en attendre. Car ce qui compte plus que tout, c’est bien sûr que la participation soit un véritable processus suivi d’effets concrets et que leur voix soit réellement entendue… en d’autres mots, que cela serve à quelque-chose. Cela suppose du temps et des ressources humaines et financières adéquates pour soutenir cet effort dans les lieux de vie de tous les enfants, y compris les plus exclus.
Ces Cahiers du Fonds Houtman retracent le parcours de quatre projets (parmi huit au total, les quatre premiers étant parus dans les Cahiers n°32[2]) qui ont contribué à donner une véritable voix aux enfants. Les enfants et les adolescents qui y ont participé ont beaucoup de choses à exprimer. Peu importe leur âge. Ils ont des choses à dire, des idées, des rêves, des suggestions. Si la nécessité de cet appel à projets n’est plus à démontrer, espérons que tous les enfants -qui représentent environ un tiers de la population en Belgique- puissent continuer à être reconnus comme des « experts » de leur propre jeunesse et à être entendus de manière respectueuse des neuf principes.
[1] Voir : https://www.unicef.be/fr/plaidoyer/le-plaidoyer-sur-divers-themes-politiques/la-participation
[2] Et l’ensemble des projets faisant l’objet du colloque du 30 mai 2024.
I. Maison des Jeunes d’Arlon : « Gaming House »
Les maisons de jeunes (MJ) ont pour mission de soutenir la jeunesse dans sa recherche constante de reconnaissance et d’accroître son sentiment de fierté ; de favoriser la mixité, le vivre-ensemble et le respect d’autrui ; de tisser un lien fort et solide entre les jeunes, leurs projets et leur lieu de vie ; de développer leurs aptitudes et compétences. Des axes fondamentaux qui traversent le projet « Gaming House », proposé par la MJ d’Arlon.
Ado, Aleksy Aubry fréquentait déjà assidûment la maison de jeunes. Aujourd’hui, à vingt-quatre ans, il est l’un de ses animateurs et il y partage sa passion pour les jeux vidéo. C’est lui qui est aux manettes de la gaming house. L’idée de créer une salle de jeux, une gaming house, remonte à il y a six ou sept ans, lors du « Japan day », un évènement local organisé par le collectif MJ Taku, l’ancienne dynamique manga de la MJ d’Arlon. « On voulait absolument organiser une deuxième édition, raconte-t-il, mais pour cela il fallait du matériel. Ça tombait bien : j’en avais pas mal, et ça me tenait à cœur de gérer un tel espace ».
Il entraîne d’autres amateurs dans l’aventure, un petit collectif se crée, et l’espace gaming mis en place pour le deuxième Japan day attire un monde fou. « On ne s’y attendait pas, poursuit-il. Les gens s’engouffraient dans une petite pièce pas du tout adaptée à un évènement de ce style. » Dans sa tête, les idées se mettent en place : organiser à nouveau un truc dans le genre, mais durable et à la MJ ! Les jeunes souhaitaient en effet disposer d’un lieu, d’un endroit ailleurs que chacun chez eux pour exercer leur passion pour les jeux vidéo tout en en rencontrant d’autres de leur âge. Pour permettre aussi à ceux qui ne pouvaient pas investir d’argent dans une installation d’en bénéficier. Bref, un endroit où se rassembler, partager et s’épanouir dans un environnement sain.
Transmission
L’idée était aussi de diversifier l’offre d’animations de la MJ en proposant des ateliers, des formations, des workshops autour du jeu vidéo en axant le travail sur l’éducation aux médias, sur le développement de l’esprit critique, la prise de recul, la participation, le jeu coopératif et solidaire ainsi que sur la récupération et l’apprentissage technique pour réparer son PC. La finalité étant de développer une dynamique autour des ordinateurs, une dynamique basée sur l’entraide, l’organisation de tournois et le jeu, et que les jeunes puissent se retrouver et créer de vrais liens autour d’un intérêt commun.
L’équipe de l’époque répond en ce sens à l’appel à projets du Fonds Houtman. « C’était notre première demande, se souvient Aleksy, donc on a aussi commencé à bricoler des PC au cas où on ne recevrait pas le budget… ». Mais ils l’obtiennent, et vont pouvoir acheter le matériel de leurs rêves… Enfin, presque, car la pandémie arrive et le projet est mis longuement en stand-by. Première vague, deuxième vague. Pénurie de matériel informatique et prix de l’électronique qui flambe. Les référents se succèdent, le local dédié se déplace… Le temps passe et Aleksy mûrit, il termine ses études et revient à la MJ avec une proposition d’emploi. Désormais officiellement Responsable gaming, il reprend le projet à zéro. « Les jeunes étaient toujours motivés et ils ont prêté main-forte pour équiper la salle, dit-il. Au bout de quelques semaines, on a rattrapé ces années de galère : fabriqué des bureaux, monté les ordinateurs, branché le réseau, rafistolé des sièges, rafraîchi des meubles… Ce chantier a aussi attiré de nouveaux jeunes. » Pour l’animateur, si les choses s’étaient déroulées comme initialement prévu, le résultat aurait été tout autre. « Ma génération était à fond dans le gaming et on n’avait pas grand-chose à découvrir. On serait venu avec notre projet tout ficelé sans autre intérêt que de trouver un espace. On aurait créé une niche et les gens n’auraient pas osé y entrer, on aurait créé un cercle fermé d’habitués qui se connaissent. On aurait donné ce sentiment que, si tu n’avais pas un certain niveau, tu ne pouvais pas venir chez nous… Tandis qu’aujourd’hui les jeunes sont dans la construction, pas uniquement d’un espace, mais d’une dynamique. Certains d’entre eux ont déjà un peu joué aux jeux vidéo et d’autres pas, certains s’intéressent un peu à la tech mais n’en ont jamais fait… Nous, on savait bricoler un PC les yeux fermés. Ici il faut tout leur apprendre et c’est là qu’il y a un plus grand intérêt. »
Méthodologie
Tout a du sens dans ce projet. La pratique d’abord : des compétences sont acquises grâce aux ateliers montage et démontage d’ordinateurs, consoles et autres appareils informatiques, à la création et à la construction en bois de bureaux et de la borne d’arcade. Tous les jeunes ne sont pas habitués à ces travaux manuels, ni à la peinture. C’est l’occasion d’un échange de connaissances et de compétences. Ils apprennent par ailleurs à organiser des tournois, des soirées jeux et des stages geek, ils apprennent à anticiper, à communiquer.
La salle censée n’être qu’un espace restreint pour cinq ordinateurs s’est enfin déployée dans un beau grand volume contenant 10 PC Gamer, la borne d’arcade faite par les jeunes, une PS4, une PS3, une PS2, une Xbox One, ainsi que tout le matériel nécessaire à l’entretien et au dépannage. Depuis qu’elle est ouverte, des tournois ont été organisés et des soirées ont été consacrées aux entraînements. « Les jeunes ont aussi l’objectif de créer une team eSport, une équipe un peu plus professionnelle avec ceux qui ont la volonté de persévérer, et qui ont encore plein de choses à apprendre. J’ai vu ici des jeunes taper sur un clavier pour la première fois… ils ont l’habitude de la manette et là ils disposent d’un jeu avec un million de touches et un million de façons de faire, des maps à apprendre, des personnages à connaître, etc. » Le jeu de prédilection de l’animateur est Valorant. « Il est souvent mal vu dans le sens où c’est un shooter, un jeu de tir, mais il est possible d’activer un mode sans violence pour ne pas y voir du sang ou des corps sur le sol. Ça calme un peu les parents sur l’idée reçue des jeux violents », dit-il, expliquant qu’il s’agit avant tout d’un jeu d’équipe. « S’ils ne travaillent pas à cinq et s’ils ne choisissent pas chacun le personnage qui leur correspond et qui correspond aussi à l’ensemble de l’équipe, ils ne pourront pas construire cette équipe correctement. Ils doivent aussi apprendre à créer des tactiques, sans quoi ils ne gagneront pas. Cela s’est passé lors d’un tournoi : des participants ont constitué une équipe avec les meilleurs et face à eux il y avait les nôtres, ma petite équipe de jeunes qui jouent tout le temps ensemble et qui a un niveau débutant. Pour preuve, l’un d’entre eux n’a pas d’ordinateur et ne peut s’entraîner qu’à la MJ. » Devinez qui a gagné ? « En équipe on est plus fort. Ce phénomène existe vraiment ! »
Les jeunes en amènent parfois d’autres, de l’extérieur, mais les tournois et les entraînements se déroulent en circuit local, rarement en ligne. « On reste dans le monde réel », dit Aleksy qui veille aussi à les aider à gérer leur hobby. En leur recommandant des limites de temps, notamment pour ceux qui jouent à la maison. Bien jouer, c’est aussi adopter un rythme de vie simple, manger sainement, avoir des heures de sommeil correctes. Au-delà de leur apprendre à jouer ou de les laisser profiter d’un espace, le but est de les responsabiliser sur la manière d’utiliser le jeu vidéo de manière intéressante et constructive pédagogiquement. « Sur Minecraft par exemple, qui est un jeu très créatif, on s’amuse parfois à faire des build battles. Le principe : un thème et deux équipes qui doivent bâtir la plus belle construction. C’est totalement subjectif, et bien souvent, je ne les départage même pas, mais ça leur permet d’activer leur créativité, de travailler une fois de plus de manière coopérative. Sur n’importe quel jeu vidéo, il y a moyen de faire quelque chose de plus pédagogique que de leur laisser un espace gaming et c’était la raison pour laquelle je me suis tout de suite attaché à l’idée de porter ce projet plus haut que ce qui était prévu. »
Prolongements
La mission des MJ est de faire des jeunes des CRACS, des Citoyens Responsables, Actifs, Critiques et Solidaires. Et cela peut passer par un projet comme cet espace gaming. « Actuellement nos jeunes sont loin d’être tous des CRACS, constate Aleksy. Ils ne sont pas tous porteurs de projets, ils ne sont pas tous actifs, ils sont consommateurs. Mais quand on leur propose quelque chose, ils sont preneurs. Il faut les pousser un petit peu. » Dans l’espace d’accueil, l’équipe les écoute, parle avec eux, leur montre ce qu’il est possible de faire avec le matériel dont la MJ dispose. Ceux de l’espace gaming parlaient de YouTube, d’Insta, de reels, ils ont laissé entendre qu’ils aimeraient bien créer des podcasts… « Comme on a une bonne caméra, un trépied et un micro perche… ils ont la possibilité de le faire. Et ils l’ont fait. Ils ont créé un serveur Discord, ils partagent leur avis, ils y parlent de la culture du jeu vidéo ou d’autres évènements du quotidien et peuvent continuer d’échanger en vocal pendant une session de jeu. »
Le groupe de gamers a assisté à la Paris Games Week, un évènement pop culture focalisé sur le jeu vidéo et l’informatique, mais également sur les cosplays, les mangas et les animes. Les gens y viennent déguisés. Lors d’un évènement similaire à Luxembourg, les jeunes de la MJ y sont allés en figures de Valorant. Un atelier de couture s’est improvisé et aujourd’hui ils fignolent leurs cosplays pour la Made in Asia à Bruxelles. D’autres rêvent d’imprimantes 3D… Cette sortie à Paris a marqué Aleksy. « Ils avaient des paillettes dans les yeux, dit-il. Si un jour je dois faire autre chose qu’animateur, ce sera former les prochaines générations à un métier. J’ai une passion et j’ai envie de la transmettre. » Aujourd’hui, des contacts se nouent avec d’autres maisons de jeunes des environs qui souhaitent se lancer dans le même genre d’expérience, à Athus ou à Libramont, pour échanger les savoirs sur des sujets proches, comme la programmation de jeux.
Parmi les atouts du projet gaming, il pointe la cohésion de groupe. Les jeunes créent de petites équipes entre eux ; certains ne se connaissaient pas avant, d’autres se sont rencontrés autour de cette inclination commune. Il souligne aussi l’intérêt de s’investir dans un projet. « Des fois, remarque-t-il, les jeunes ne savent pas quoi faire de leur journée, ils ne sont pas contents d’être à la maison, ils ne sont pas contents d’être à l’école… Ils arrivent ici et ils peuvent vider leur sac, souffler. À la MJ, tu es tranquille, tu y viens pour profiter de ta vie, profites-en à fond… C’est un endroit où ils sont chez eux, un endroit où ils sont bien et où ils ont envie de s’investir. »
Ce mercredi après-midi, ils sont quatre à débarquer à la Gaming House. Olivia, Denilson et Max, pilotés par Sven, un habitué. Ils ont dix-sept et dix-huit ans et sont en internat à Arlon. « Quand on m’a parlé de gaming room, je me suis dit que c’était trois PC d’école réunis pour faire du Minecraft sous des 15 FPS. Puis je suis venu pour une première compétition et j’ai vu la salle… Ah oui, c’est là que je veux terminer mes jours ! », raconte Sven, qui ne cache pas son enthousiasme. Depuis, en effet, il vient souvent. « Parce que mon PC ne digère pas autant que ceux-là, pour passer mon temps parce que parfois dehors il fait froid et puis pour voir aussi les copains. C’est vraiment un lieu pour tout le monde. Il y en a en bas qui font du sport, qui font de l’art. Il y a beaucoup d’activités, tu trouves toujours quelqu’un ici que tu connais, il y a moyen de faire beaucoup de rencontres aussi. Moi mon truc c’est le gaming, ça m’a fait entrer et du coup je vois des gens et puis je pars sur d’autres activités aussi, comme la musique… »
Gagner en estime de soi, évoluer dans le domaine du jeu vidéo à leur mesure, continuer à se dépasser : partie gagnée !
Contact
Maison des Jeunes d’Arlon : 40 Rue de la Caserne à 6700 Arlon. Tél. : 063 21 90 51
Aleksy Aubry, animateur/responsable gaming
Jean Welles, directeur
Courriel : coordination.mjarlon@gmail.com – Site : https://www.mj-arlon.com/
II. Ras El Hanout asbl : « Vis ta vie »
Culture, accès à la culture et diversité sont les piliers de l’asbl Ras El Hanout, située dans le quartier maritime de Molenbeek. Le projet « Vis ta vie » reflète cet engagement envers les jeunes d’un quartier réputé difficile en utilisant la culture et l’art comme moyens de développement personnel, social et artistique. Il s’inscrit dans une démarche d’empowerment, avec une attention particulière portée à l’accompagnement psychosocial et à l’engagement communautaire à long terme.
Ras El Hanout propose des ateliers de théâtre pour les jeunes de douze à dix-huit ans. Ils sont pensés comme un parcours sur plusieurs années, allant de l’initiation au perfectionnement, à la création et à l’autogestion de projets artistiques. Parallèlement, un suivi individuel est proposé par un travailleur social pour aborder des problématiques plus larges dans l’environnement de ces jeunes. Cette approche holistique vise à maintenir un lien avec eux au fil des ans, en travaillant tous les aspects de leur vie : famille, éducation, emploi, santé mentale et autres défis sociaux.
Objectifs
Le projet cible principalement les jeunes issus de l’immigration, en situation précaire, dans la zone canal (Molenbeek, Schaerbeek, Bruxelles, Anderlecht), avec une majorité de filles. Molenbeek est l’une des communes les plus pauvres de la région bruxelloise. Sa population est majoritairement issue de milieux modestes, avec une forte représentation de jeunes Belges d’origine arabo-musulmane. La diversité culturelle est un trait marquant du quartier. Les jeunes y font face à d’importantes difficultés scolaires et professionnelles. Le taux de chômage élevé et les problèmes de précarité financière sont des défis persistants. Beaucoup vivent dans des logements surpeuplés, exacerbant les problèmes sociaux. Cette situation est aggravée par un manque de mobilité spatiale, limitant leur accès à des opportunités au-delà du quartier immédiat. Le projet répond à un besoin crucial d’accès à des services culturels et sociaux de qualité dans une commune où de telles opportunités sont rares. Il offre un espace d’expression et d’émancipation citoyenne à travers l’art en permettant aux jeunes de transcender les limites sociales et spatiales de leur environnement. L’asbl favorise la cohabitation et la création de synergies entre jeunes de différents milieux socioéconomiques. Ces interactions contribuent au développement personnel et à la prise de conscience citoyenne. Il a un impact significatif sur l’intégration sociale et le bien-être des jeunes.
Ras El Hanout présente trois pôles d’activité, trois axes imbriqués. Le premier concerne l’expression et la créativité (l’ASBL est en attente d’une reconnaissance d’ailleurs en tant que centre d’expression et de créativité (CEC)), un axe destiné à celles et ceux qui souhaitent toucher à l’outil du théâtre, se l’approprier, qui ont envie de se raconter. « Le projet “Vis ta vie” en fait partie, explique Souhaïla Amri, coordinatrice des activités socioculturelles. Sur un quadrimestre ou durant un stage, de nombreux exercices d’initiation sont proposés, de la création collective. » Le pôle éducation permanente s’adresse quant à lui à un public d’adultes, tandis que le pôle arts de la scène permet à des jeunes de se professionnaliser. « Ces trois pôles se conçoivent comme un parcours possible. »
« Vis ta vie » est un projet qui permet à la fois de s’engager et de ne pas trop s’engager. « C’est un premier pas dans un cadre délimité et sécurisant », poursuit la coordinatrice. Les jeunes peuvent expérimenter le théâtre dans une période relativement courte tout en étant encadrés par des animateurs et des animatrices. Une personne est également à leur disposition en cas de nécessité d’accompagnement psychosocial. « C’est quelque chose de très important pour nous. On travaille avec des publics qui ont parfois des difficultés spécifiques, des récits compliqués, des réalités qu’on ne peut pas enlever de leur vie… Des jeunes ont besoin de trouver un job étudiant, par exemple, et ils ne savent pas rédiger leur CV. On va les aider à le faire. D’autres ont des problèmes intrafamiliaux, ils ont besoin d’en parler ou d’être réorientés. Nous avons une personne qui a les ressources pour cela. »
Les ateliers abordent des thématiques variées choisies par les jeunes, reflétant leurs préoccupations, leur histoire et les enjeux de leur communauté. Ils visent à développer leurs compétences artistiques tout en contribuant à leur épanouissement personnel. Ils offrent un espace pour l’expression créative et la réflexion sur des thèmes personnels et sociaux. L’approche est progressive, leur permettant de développer leurs talents de manière structurée et adaptée à leur évolution. Ils sont encouragés à participer activement à tous les aspects de la création théâtrale, de la conception à la réalisation.
Les ateliers peuvent se suffire à eux-mêmes, mais ce n’est pas l’objectif ultime. « Ici, on fait du théâtre engagé. On le dit haut et fort, et donc forcément les gens qui viennent savent dans quoi ils se lancent. Nos espaces sont conçus pour que les jeunes puissent s’exprimer, et donc forcément des choses vont ressortir, des réalités vont faire écho à celles des autres. Récemment, les enfants ont travaillé sur le harcèlement et les ados sur la discrimination et la ségrégation. »
Méthodologie
Création collective, estime de soi, citoyenneté active, transparence et respect traversent le programme proposé. « Vis ta vie » combine des techniques théâtrales innovantes, une approche pédagogique participative et un fort accent sur l’empowerment et le développement personnel des jeunes, afin de créer un espace sûr et inclusif où ils peuvent s’exprimer librement, développer leur créativité et prendre une part active dans leur communauté. Cette méthodologie repose sur quelques fondamentaux comme le Théâtre de l’Opprimé du pédagogue Augusto Boal, dont l’approche vise à transformer le spectateur en un acteur actif, impliqué dans le processus créatif, favorisant ainsi l’expression personnelle et collective. Le projet s’inspire également du théâtre-action et du théâtre d’intervention, tous deux conçus pour permettre aux jeunes de s’émanciper, de comprendre et d’agir contre les discriminations. « L’objectif est de créer une prise de conscience et d’encourager les jeunes à analyser et comprendre leur réalité. Une grande importance est accordée à la participation active dans tous les aspects de la création théâtrale, du choix des thématiques à l’écriture des scénarios et des dialogues. » La pédagogie de projet, inspirée par John Dewey, est une ressource utilisée pour impliquer les jeunes. Cette méthode encourage la coopération, la rotation des rôles de direction et l’engagement dans une activité continue.
Déroulement
Mené de janvier 2022 à décembre 2023, « Vis ta vie » comprend des ateliers théâtre hebdomadaires, des évènements de clôture et des stages d’été. Les jeunes créent leurs pièces, en comprennent les enjeux, apprennent comment la lumière fonctionne, comment l’écriture fonctionne, comment jouer fonctionne… Ces premiers pas dans le monde du théâtre sont des pas collectifs, des dynamiques de création collective. Avec des points positifs et des points négatifs. « C’est apprendre à se frotter aux autres, apprendre à abandonner une idée et puis à créer ensemble », souligne Souhaïla Amri. Les jeunes réalisent également que leur culture est aussi légitime qu’une autre. Que toute culture est valorisable.
Durant l’été, des stages approfondissent différents aspects du théâtre, permettant ainsi aux jeunes de se concentrer sur des compétences spécifiques et de travailler sur des projets plus élaborés. Ils leur offrent l’occasion de s’engager plus intensément dans le processus créatif et de collaborer étroitement avec leurs pairs et avec les animateurs. Les évènements de clôture, appelés « ateliers en scène », présentent leurs travaux. « Ils servent de plateforme pour montrer les compétences acquises et les créations réalisées durant les ateliers et les stages. C’est un moment idéal de rencontre dans un contexte convivial. Cela renforce le sentiment d’appartenance à l’association tout en permettant de restituer les ateliers dans l’ensemble des activités et missions de l’association. »
Perspectives
L’asbl envisage de pérenniser et d’étendre le projet « Vis ta vie », de continuer à toucher des publics en situation de précarité, notamment en accroissant l’impact sur les jeunes du quartier. « Certains viennent de loin pour trouver un espace comme le nôtre, mais des riverains ne nous connaissent pas ou n’ont pas encore franchi notre seuil. Un de nos objectifs est donc de renforcer notre ancrage local. »
Les réalisations sont diffusées de différentes manières : évènements de clôture, présentation de créations lors de festivals, réseaux sociaux. Voici quelques liens pour les découvrir :
Contact
Ras El Hanout : 17-19 Rue du Ruisseau à 1080 Molenbeek-Saint-Jean. Tél. : 02 256 76 80 ou 0488 01 14 11 – Courriel : souhaila@ras-el-hanout.be – Site : https://ras-el-hanout.be
III. Fédération des Amis de la Morale Laïque : « La diversité dans tous ses états »
Des courts-métrages en stop motion et une exposition participative autour de la diversité : un projet qui encourage l’expression des jeunes, favorise la réflexion et la discussion en leur donnant l’occasion de partager leurs expériences, leurs points de vue et leurs idées.
La diversité. Cette thématique large ne pouvait que susciter la prise de parole, voire la controverse. « C’est en tout cas un sujet qui nécessite écoute et respect de l’avis des autres, quel qu’il soit », précise Marie Béclard, chargée de projets pour la Fédération des Amis de la Morale Laïque (FAML). Les ateliers organisés se sont déroulés dans trois écoles bruxelloises : l’école communale 16 (Molenbeek), le collège Fra Angelico (Evere) et le lycée intégral Roger Lallemand (Saint-Gilles). En tout, 439 jeunes ont participé au projet, représentant une variété culturelle, sociale et de genre.
Réfléchir et déconstruire
Lors des premières séances, les animatrices proposaient dix affirmations volontairement polémiques et demandaient aux jeunes participants de prendre position en se déplaçant physiquement pour marquer leur opinion. « C’est ce qu’on appelle un débat mouvant, explique Marie Béclard. Il n’y a pas de zones de doute. Chacun peut expliquer sa position et est libre à tout moment de se déplacer s’il est convaincu par un argument proposé par quelqu’un d’autre. » Cette étape importante du processus permet de faire émerger des stéréotypes et des préjugés, et amène les jeunes à les déconstruire entre eux. « En veillant à ce que le débat reste le leur », ajoute-t-elle. Quelques exemples d’assertions invitant aux réactions : « À part homme et femme, il n’y a pas d’autres genres » ; « Les Asiatiques sont tous forts en math » ; « À la maison, c’est à la femme de faire le ménage » ; « Les personnes SDF sont fainéantes » ; « Tous les jeunes sont des geeks et ne font rien de leurs journées » ; « Les Américains sont plus bêtes que les Européens » ; « Une famille, c’est un papa et une maman » ; « On sait reconnaître facilement un homme gay et/ou une femme lesbienne » ; « Être LGBTQIA+, ça se choisit » ; « Les personnes handicapées sont aussi utiles/efficaces que les personnes valides »… Réaliser ces débats mouvants à la première et à la dernière séance permet d’observer d’éventuels changements de perception et de prise de parole. « Cela favorise la pensée critique et l’analyse réflexive. Les participants peuvent mieux comprendre les arguments et les motivations des autres. Cela favorise une meilleure compréhension des opinions divergentes. »
Un atelier philo a aussi été organisé au départ d’un petit film pour questionner la norme établie. Qu’est-ce qui est normal ou non ? Pourquoi accepte-t-on certaines choses et en stigmatise-t-on d’autres ? « Il nous semblait important de commencer par la déconstruction des stéréotypes. » Enfin, pendant une séance d’une heure et demie, les jeunes ont participé à différentes activités – jeux, animations – pour vivre les discriminations liées à la thématique qu’ils avaient choisie.
L’outil stop motion
Le stop motion est une technique cinématographique utilisée dans les films d’animation. La prise d’images fixes successives, en déplaçant légèrement les éléments (ici, des décors et des personnages de l’univers Lego), permet de créer un mouvement. « Cette technique nous a paru adaptée pour attirer les jeunes, c’est une activité qui permet un projet fini. Et en effet, quasiment chaque module s’est conclu par la réalisation d’un film. » Il s’agit cependant plus d’un processus que d’une finalité…
La rédaction du scénario est l’étape cruciale, elle cristallise les activités de débat autour de la problématique. C’est le moment où l’énergie des jeunes est canalisée dans l’objectif de réaliser un film-outil divertissant et qui renvoie à la problématique de départ. Après vient la complexité de faire vivre l’histoire dans un story-board. « Chez les plus jeunes, c’est souvent la thématique de l’égalité entre les filles et les garçons qui a été choisie. Chez les plus âgés, les débats ont beaucoup tourné sur les questions d’orientation sexuelle ou de transidentité », détaille Marie Béclard. Parmi les autres sujets abordés : la peur de l’autre, le racisme, les violences policières, les inégalités de genre, le harcèlement, la grossophobie, l’homophobie, le caractère positif de la diversité…
Tourner un seul film par classe a parfois été compliqué. Cela a demandé aux enfants de se mettre d’accord, de faire des concessions, de négocier pour arriver à un compromis acceptable pour tout le monde. « Nous pensions que le tournage serait la partie la plus motivante pour les jeunes, mais on s’est aperçu que ça réclamait beaucoup de patience et que ça ne plaisait pas à tous. Nous avons alors partagé le groupe pour tourner avec un plus petit nombre et poursuivre des activités de sensibilisation avec les autres. Puis on changeait, de sorte que tout le monde soit actif. » Certains préféraient en effet s’occuper du tournage, d’autres des voix off. Plus que de simples dialogues enregistrés, il s’agit d’exercices à part entière qui permettent eux aussi de développer l’esprit critique et le rapport à la diversité des élèves. Cela fonctionne comme un jeu de rôle : en imaginant le dialogue, chacun se met dans la peau du personnage discriminé. La voix off est aussi utilisée comme « morale » : quels sont les messages véhiculés ? Les élèves ont-ils des revendications à transmettre ? Quelles sont les valeurs qu’ils veulent transmettre ? S’agit-il de faire rire ou de faire réfléchir ?
Lien vers quelques réalisations : https://www.danstoussesetats.be/quelques-realisations
L’expo photo : Focus sur la diversité
Une centaine de photographies envoyées par des enfants et des jeunes composent le catalogue d’exposition du concours. Deux expositions ont été organisées. L’une sur les grilles de la maison communale de Saint-Josse, juste à côté de la station de métro Madou, dans le cadre des Journées du vivre ensemble. L’autre s’est tenue à l’école 16. « Nous avons eu du mal à récolter des photos, reconnaît Marie Béclard. Nous pensions que les jeunes auraient d’eux-mêmes participé, mais cela n’a pas été le cas. Nous leur avions donné tout simplement la thématique et un appareil pour qu’ils se lancent dans la capture d’images qui selon eux représentaient la diversité, mais ils nous ont expliqué que, seuls, ils avaient le sentiment d’être perdus… La thématique leur semblait trop large. Nous l’avions choisie pour qu’elle puisse inclure beaucoup de choses, mais cela a été une faiblesse. Nous avons alors réalisé des animations dans les écoles partenaires pour collecter les photos. Une méthode plus pertinente a posteriori, alors que nous l’avions écartée en amont pour toucher davantage de jeunes… »
Bilan
Les réactions diffèrent selon les écoles où l’équipe a été présente de manière épisodique ou récurrente pendant les deux années de projet. « À l’école 16, au collège Fra Angelico et lors des stages, les jeunes se sont davantage ouverts, ils ont davantage pris la parole et se sont approprié le projet. Tandis que les jeunes que nous avons accompagnés sur de plus courtes périodes sont restés sur la réserve et leur prise de parole était beaucoup plus contrôlée. » Il faut le temps pour établir un cadre suffisamment sécurisant, pour que les enfants ou les jeunes osent prendre la parole et s’exprimer librement et pour pouvoir entrer dans des animations plus réfléchies. « Prendre son temps aussi pour que les jeunes nous fassent suffisamment confiance pour oser déposer des choses personnelles ou des opinions qui ne plaisent pas à tout le monde. Au départ, certains groupes pensaient n’avoir rien à dire sur la diversité, constate Marie Béclard. Ils supposaient qu’ils ne pourraient pas dire ce qu’ils pensaient réellement, car on allait les juger, tenter de les formater… Mais, finalement, peu d’entre eux ont choisi de ne pas prendre la parole. » Lorsque les questions de genre ou LGBTQIA+ étaient abordées, elle a parfois observé une polarisation des avis. « Dans ce genre de situation, il n’a pas toujours été facile tant pour certains élèves que pour les animatrices de rester neutres. »
Le débat mouvant et la création du scénario demandent aux jeunes de réfléchir, de questionner des évidences sur des questions parfois polémiques. Le scénario et les voix off permettent de développer leur esprit critique, mais également leur capacité à débattre puisque les choix se font en groupe. « La majorité a indiqué avoir apprécié l’opportunité de s’exprimer sur le thème de la diversité. Mais cela a été plus compliqué pour d’autres. Ils ont été confrontés à des opinions tellement différentes des leurs que ça les a parfois bloqués. Nous avons fait le choix de les laisser se mettre en recul s’ils en sentaient le besoin, tant qu’ils laissaient les autres participer. En suivant cette démarche, la quasi-totalité des jeunes a rapidement choisi de reprendre part à l’activité. »
Les forces du projet
Les animations se sont déroulées dans différents contextes : le cours de philosophie et citoyenneté à l’école primaire, le cours de français au lycée, dans le cadre d’ateliers au collège, et des stages de vacances. Elles ont aussi été menées dans différentes conditions : nombre de séances d’atelier, avec ou sans enseignant, dans ou en dehors du cadre scolaire, avec une participation des jeunes libre ou obligatoire. La présence pendant deux années au sein de mêmes établissements scolaires a facilité le projet : certains jeunes ont suivi plusieurs fois l’atelier et il devenait possible de leur en confier une partie de la gestion, rendant ainsi aux animatrices une position d’observateur et de garant du cadre. « Le projet devenait alors vraiment un projet pour et par les jeunes. » Une présence longue dans les écoles a également permis aux animatrices de faire un peu partie des meubles, les jeunes les connaissaient même sans avoir participé aux ateliers. « Des élèves qui se questionnaient sur leur genre, leur orientation sexuelle et amoureuse ou qui étaient en recherche identitaire se sont inscrits parce qu’ils avaient besoin d’un espace sécuritaire pour s’exprimer. »
Le projet aura permis de donner la parole aux jeunes, de les rendre acteurs du projet et d’amener un questionnement, de les confronter à des idées différentes des leurs. Il a également permis aux animatrices de s’interroger sur la participation des jeunes, sur l’équilibre entre le respect des positions de chacun, le respect des lois et de leurs propres convictions. « On ne donne pas la parole à n’importe quel prix puisqu’elle est balisée par la loi, rappelle Marie Béclard. Devant des propos racistes, xénophobes, des propos amenant de la violence, il était important de remettre un cadre, avec le moins de jugement possible. On a également tenté d’apprendre aux jeunes à être plus dans le questionnement, à se décentrer pour écouter les positions de l’autre même quand les propos sont durs. Le projet ne pouvait se passer correctement que si on se respectait mutuellement. »
Prolongements
Les vidéos sont accessibles sur le site https://www.danstoussesetats.be/quelques-realisations. On y trouve aussi la valise pédagogique du projet (aussi disponible gratuitement en prêt) contenant le dossier pédagogique, des albums jeunesse qui traitent de différents aspects de la diversité (handicap, questions de genre, LGBTQIA+, racisme, diversité au sens large) et deux jeux : C’est cliché et Inegalcity (créé par la FAML, il traite des discriminations de manière intersectionnelle).
Contact
Fédération des amis de la morale laïque (FAML) :
60-62 Rue de la Croix de Fer à 1000 Bruxelles.
Tél. : 0456 39 98 65 – Courriel : info@faml.be ou marie.beclard@faml.be – Site : https://faml.be/
IV. XL art et Musée d’Ixelles : « Apprentis scénographes »
Fermé au public pour travaux depuis 2018, le Musée d’Ixelles continue toutefois de tourner de l’intérieur. Pour préparer sa réouverture, prévue en 2025, la parole a été donnée aux enfants des écoles primaires du quartier pour créer avec eux les outils de médiation de demain.
Ce projet a pour principal objectif de rendre les enfants acteurs du Musée d’Ixelles, un musée centré sur l’art belge moderne et contemporain. Comme de vrais professionnels de la médiation, ils ont été amenés à concevoir des outils pédagogiques, des parcours, des accessoires et des dispositifs de visite d’accueil destinés aux jeunes visiteurs.
« En tant qu’institution culturelle, nous sommes sensibles à l’égalité des chances, dit Chloé Orrico, chargée des publics jeunesse au Musée d’Ixelles : parité dans les collections, accès au musée pour les personnes fragilisées, visites adaptées à la différence… » Ce projet vise en outre de nombreux sous-objectifs : développer l’esprit critique, comprendre, développer les qualités sociales telles que l’écoute, l’échange et l’empathie, prendre la parole devant les autres, présenter une idée, un projet, synthétiser une expérience, développer l’expression de soi, favoriser l’accès à la culture, découvrir et approfondir le monde des musées.
Sur deux années académiques, de 2021 à 2023, les apprentis scénographes ont réalisé une trentaine de capsules audio et vidéo, inventé des jeux et des accessoires pour le musée. Ils en ont aussi découvert les coulisses.
Rencontrer une œuvre nous permet d’en apprendre plus sur nous-mêmes. « Les collections des musées ont le potentiel incroyable d’élargir nos horizons et de nous permettre de ressentir ce que le quotidien parfois ne peut plus, dit Lucie Burton, la coordinatrice d’XL art. Un nouveau monde s’ouvre à l’intérieur de nous, un peu plus de place pour une nouvelle expérience. Parfois cette expérience est intense, comme le sentiment d’être un peu plus vivant. » Si la rencontre avec l’œuvre reste singulière, les ressentis et les expériences qui en découlent peuvent se partager. « Le partage ne se fera pas uniquement par la parole ou par l’écrit. Parfois le partage passera par la création plastique, théâtrale, littéraire, chorégraphique… L’impulsion de l’œuvre d’art nous invite à devenir nous-mêmes créateurs ou créatrices. »
Lors des ateliers, elle a constaté que les enfants avaient parfois du mal à s’exprimer oralement. « Cela peut être dû à une difficulté de compréhension de ressentis complexes ou à un manque de langage, analyse-t-elle. Alors qu’ils choisissent facilement une œuvre qui leur parle, qui leur plaît, c’est plus difficile pour eux d’expliquer ce qui les motive ou les fait vibrer. » Parler de l’expérience du beau n’est pas chose aisée. Et donner son avis quand on n’y est pas habitué peut être déroutant… « Les enfants ont l’habitude de recevoir les faits et les histoires des œuvres. Ils ont par ailleurs une maitrise inégale du langage. » Animer un groupe autour du thème de la parole dans une pédagogie de participation demande une formation spécifique. « Les démarches participatives sont de plus en plus implantées dans le fonctionnement des musées, souligne Lucie Burton. Les médiateurs jouent fréquemment un rôle de facilitateur, stimulant les échanges et encourageant les participants. Il devient essentiel d’acquérir des compétences autres que celles d’animation. »
Donner accès, donner un cadre
Donner la parole aux enfants peut se faire de manière très libre, mais le danger d’un projet trop ouvert est qu’il attire principalement les enfants habitués et motivés à s’exprimer. « Les autres, dans l’ombre, ne profitent pas d’un tel dispositif, observe Lucie Burton. L’installation d’un cadre, d’une ligne directrice n’est pas synonyme de réduction de la parole, au contraire. Dans des possibles accessibles et cadrés, les enfants peuvent jouer, agencer, composer, s’exprimer. C’est tout autant infini, mais le cadre amène une sécurité stabilisante. » En théorie créative, on parle de contraintes libératoires. Ici par exemple, elle leur a donné une consigne claire : utiliser uniquement de la colle, des ciseaux, des reproductions de tableaux et une feuille blanche. « La variété et la singularité des résultats étaient surprenantes. Que ce soit dans le choix des œuvres à découper, dans la manière de découper, dans la manière d’agencer les éléments… Quelle richesse ! »
L’équipe a jonglé avec des moments d’expression plus libre ou plus guidée. « Lorsque nous avons ouvert la parole autour de l’accueil des enfants à la réouverture du musée, nous leur avons proposé de donner des idées folles et irréalisables et puis des idées originales en tenant compte de la réalité et des moyens à disposition. » Tout a été noté, car chaque idée était valable. « Les premières réponses étaient très convenues, poursuit-elle. Et tout à coup il y a eu un déclic ! Une visite à cheval, une tyrolienne… ils ont sorti des idées complètement dingues. » Le résultat final n’a sans doute pas été l’installation d’un filin ou d’un paddock, mais quelque chose qui fait penser à un endroit d’où on part et où on arrive, à une montée ou une descente… « On a pu reprendre l’idée de déplacement entre les salles à différents rythmes. » Toute la matière fournie par les enfants est précieusement archivée. « Nous ne manquerons pas d’y piocher de l’inspiration », promet Chloé Orrico.
Réalisations
« Au début, on voulait concevoir des meubles, construire un espace pédagogique avec les enfants, raconte Chloé Orrico. Mais on s’est vite rendu compte que ça ne leur parlait pas et on s’est dirigé vers quelque chose qui fait davantage se rencontrer le monde des enfants et le monde du musée. » Les enfants avaient parlé plusieurs fois de se relâcher, de se reposer au musée, mais aussi de dessiner dans les salles. C’est ainsi qu’a germé l’idée de confectionner des coussins sur base des œuvres du musée. Ces coussins disposeraient d’une poche pour y ranger un carnet et de quoi dessiner. « Une fois cette proposition validée par la majorité du groupe, nous avons lancé les enfants dans cette réalisation réellement porteuse de sens pour eux. »
Ils voulaient aussi jouer… donc ils ont inventé des jeux. Certains très classiques – que l’équipe n’aurait sans doute pas retenus d’initiative – ont été accommodés à la sauce musée : mots cachés issus d’œuvres, jeu des 7 différences. « C’étaient leurs idées, donc on les a prises, dit Lucie Burton. Nous avons veillé à ne pas leur proposer uniquement des choses différentes, mais des choses qui restaient dans leur zone de confort. » Elle se réfère au concept de zone proximale de développement. « Il y a ce que l’enfant sait, tous les savoirs et les savoir-faire dans lesquels il est confortable, et puis il y a la zone où il peut aller. Nous les avons donc poussés à faire des choses qu’ils faisaient moins. »
Leurs nombreux prototypes ont été finalisés par des professionnels : entre autres des marionnettes, des puzzles, un « Qui est-ce ? », des lunettes Optic’art pour voir l’art autrement. Ils seront dans les espaces d’exposition ou mis en valeur ailleurs : dans le jardin par exemple avec le Qui est-ce ou les idées de jeux dans le carnet, déjà utilisés pour un projet estival.
Les enfants ont également réalisé des capsules audio et vidéo dans lesquelles ils commentent une œuvre de leur choix. Ces dispositifs permettent de voir les œuvres à travers leurs yeux, de découvrir leur sensibilité, de comprendre leurs réflexions. Elles montrent qu’il existe d’autres moyens d’entrer en contact avec un tableau ou une sculpture qu’un discours historiographique sur l’artiste ou sur l’œuvre. Des jeux d’expression ont été organisés en préparation de ces enregistrements. « On a créé ensemble de petits synopsis. Certains étaient partants pour jouer le peintre ou le journaliste. Des enfants adorent s’exprimer et c’est vraiment leur moment de gloire. Un autre cessera de bégayer devant le micro, les plus timides se lâchent en ne travaillant qu’à deux, d’autres trouvent là un moyen d’expression autrement valorisé que ce que l’école leur réclame généralement. » Aujourd’hui, ces supports sont déjà utilisés auprès d’un public senior. Les médiatrices du Musée d’Ixelles en diffusent certains lors de leurs visites en maisons de repos. La réflexion est en cours sur une intégration et une valorisation plus large : inclusion dans un audioguide, parcours multimédia dédié aux voix des enfants, bibliothèque sonore, création de jeux… Tout est possible, mais l’équipe pédagogique veille à ne pas instrumentaliser le travail des apprentis scénographes. « Il ne faut pas que cela serve d’autres intérêts que celui du moment présent où cela s’est fait avec des enfants. »
L’équipe a aussi vu l’importance d’un outil permettant aux enfants de s’entraîner à l’expression durant leur parcours au musée. « Au début, un carnet vierge servait à collecter des traces libres, puis il s’est étoffé en réunissant des jeux d’expression, du dessin et des espaces de réflexion. C’est un outil interne propre aux enfants et qui contient aussi leur évaluation du projet. »
À la fin du processus, enfants, parents et enseignants ont été invités à pousser la porte du musée en mode VIP pour découvrir l’ensemble des réalisations. Un accrochage a été spécialement organisé, chaque œuvre s’illuminant au son des différentes capsules.
Prolongements
Ce projet a permis aux enfants de s’exprimer sur l’art, de développer leur goût, de savoir ce qu’ils aimaient et ce qu’ils n’aimaient pas. Pour certains, c’était la première fois qu’ils voyaient une œuvre d’art, la première fois aussi qu’ils venaient au musée. C’est un projet qui aussi a beaucoup nourri le musée… « Il a enrichi notre vision, notre manière de travailler, dit Chloé Orrico. Sûr et certain qu’à la réouverture la participation et la cocréation feront – encore plus – partie de notre ADN ! »
Plusieurs sites présentent les réalisations des apprentis scénographes :
Contact
XL art
Lucie Burton, coordinatrice et artiste-intervenante
Téléphone : 0472/691 991 – Courriel : xlartasbl@gmail.com – Site : www.xlart.org
Musée d’Ixelles
Rue Jean Van Volsem 71, à 1050 Bruxelles
Chloé Orrico, chargée des publics jeunesse
Téléphone : 02 515 64 21 – Courriel : chloe.orrico@ixelles.brussels – Site : www.museedixelles.irisnet.be